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L’amertume des alaouites, pris en étau entre Bachar al-Assad et les jihadistes

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Dix ans après le début de la guerre en Syrie, la communauté minoritaire et dominante des alaouites, dont est issu Bachar al-Assad, craint pour son avenir. En première ligne dans les rangs des forces loyalistes, elle a payé un lourd tribut pour la survie du régime de Damas. Décryptage avec le spécialiste Fabrice Balanche.

Dix ans après le début de la guerre en Syrie, les alaouites nourrissent toujours une profonde amertume, dans un pays détruit et en crise. Pris en otage par la lutte du président Bachar al-Assad pour la survie de son régime, ils ont payé, à l’instar des autres groupes confessionnels, un lourd tribut tout au long de ces années de conflit.

« Les alaouites craignent pour leur avenir dans un pays détruit et en crise, explique à France 24 Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lyon 2, géographe et spécialiste de la Syrie. Ils sont très amers car leur population a été décimée, notamment dans les villages de montagne où les hommes âgés entre 20 et 30 ans ont été appelés sur le front et l’ont payé de leur vie ».

Un destin commun avec Bachar al-Assad ?

Historiquement méprisée et ostracisée par les sunnites majoritaires en Syrie, cette communauté de l’islam chiite, dont est issue Bachar al-Assad, elle aussi soumise à l’autoritarisme du régime, n’est toutefois pas homogène. Ses membres, bien que très présents dans tous les échelons de l’État et de l’armée, favorisés par le système clientéliste du régime, ne sont pas tous attachés à un président syrien dont le pouvoir a été fragilisé.

Dès mars 2011 d’ailleurs, des alaouites avaient fait le choix de se démarquer de Bachar al-Assad, adulé par ses partisans qui le perçoivent comme le seul capable de ramener la sécurité dans le pays. Mais en se rangeant du côté des révolutionnaires, ils subissent rapidement les foudres de la répression. En 2014, une campagne, lancée sur les réseaux sociaux par un activiste alaouite pro-Assad, exigeant que la lumière soit faite sur la mort de centaines de soldats loyalistes, avait provoqué une vague de critiques sans précédent dans les rangs des inconditionnels du président syrien. Fait rarissime indiquant que certains alaouites en ont assez de servir de « chair à canon » au régime.

« Il y avait eu dès le début des évènements en Syrie un malaise certain chez les alaouites, alors que l’une des grandes craintes du régime, c’est justement que l’image d’unité de cette communauté derrière lui se fissure », rappelle Fabrice Balanche, qui a publié en 2006 un ouvrage sur la Syrie contemporaine : « La région alaouite et le pouvoir syrien ».

Mais la confessionnalisation du conflit et le phénomène d’association automatique de l’ensemble de la communauté au régime de Damas par les rebelles islamistes et les jihadistes, qui la considèrent comme hérétique, placent les alaouites dos au mur. Ils se voient contraints de se ranger derrière le clan Assad.

« N’oublions pas que les alaouites ont viscéralement peur de la vengeance des sunnites, et ils savent parfaitement que les rancœurs ancestrales entre les deux communautés ont été réveillées par la guerre », indique Fabrice Balanche.

Lors de l’insurrection des Frères musulmans dans les années 1980, une sorte de chasse aux alaouites avait eu lieu, principalement à Alep et dans la province d’Idleb. De nombreux membres de cette communauté avaient été tués, et des villages alaouites de la région d’Idleb ont été vidés de leurs habitants. « Depuis, les alaouites n’ont jamais oublié ces évènements et ce souvenir les pousse à ne pas totalement se désolidariser avec le régime ».

Un sentiment d’avoir un destin commun avec le président syrien. Une perception entretenue par Damas, illustrée au moment où Bachar al-Assad semblait perdre du terrain, avant l’intervention militaire de son allié russe en 2015. À l’époque, certains experts avaient avancé l’idée que sa communauté pourrait se replier avec lui dans « le pays alaouite », qui s’étend sur l’ensemble du littoral méditerranéen de la Syrie, pour y créer son propre état confessionnel, à l’image de l’éphémère État alaouite (1920-1936) créé pendant le mandat français en Syrie.

Bachar al-Assad n’a plus grand-chose à offrir

Une perspective depuis oubliée, à la faveur de la victoire de Bachar al-Assad sur le terrain militaire, grâce à l’appui de ses alliés russe et iranien, qui semblent avoir éloigné la menace jihadiste et sauvé le régime syrien.

« Mais malgré la victoire sur les jihadistes, il y a une amertume tenace au sein de cette communauté, parce qu’en plus d’avoir été endeuillée, une grande partie des alaouites vit dans la pauvreté, dans un pays en proie à une crise économique aiguë, explique Fabrice Balanche. Normalement, les épouses des combattants tombés sur le champ de bataille obtiennent automatiquement un poste de fonctionnaire pour les aider à vivre, sauf que les salaires payés en livres syriennes dévaluées sont tellement bas qu’il s’agit d’une piètre consolation qui n’offre aucune perspective d’avenir ».

Toujours est-il que le maître de Damas, qui est assuré de remporter la présidentielle programmée cet été, ne peut espérer consolider son pouvoir sans compter sur l’appui et la loyauté des alaouites.

« Or on ne peut pas affirmer, aujourd’hui, que Bachar al-Assad soit populaire au sein de sa communauté, qui ne se sent pas dans son ensemble solidaire du régime, souligne Fabrice Balance. Mais les alaouites n’expriment pas ouvertement de rejet à son encontre par crainte des services de renseignements sûrement, mais aussi parce qu’ils n’ont pas envie de voir les jihadistes ou des islamistes arriver sur le pas de leur porte ».

C’est pourquoi, malgré la crise économique et le coût de la vie qui explose, l’objectif du régime est de reconstruire un système de pouvoir qui soit stable et de retisser un pacte social avec la population qui est restée au pays, poursuit Fabrice Balanche. 

Et d’ajouter : « En réalité, en raison de la crise économique, Bachar al-Assad n’a plus grand-chose à offrir à sa communauté mis à part la sécurité et une redistribution des biens appartenant à ceux qui ont quitté le pays, puisqu’il y a peu d’espoir de voir les 7 millions de réfugiés rentrer en Syrie ».

« Une spoliation pensée par le régime, précise-t-il, et destinée à rendre les bénéficiaires encore plus loyaux afin que les Syriens de base, d’eux-mêmes, n’aient pas envie que les réfugiés reviennent pour récupérer leurs biens et leurs champs ».  

Une manière de lier encore plus le destin d’une communauté à celle du clan Assad, et d’un régime accusé par la communauté internationale de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. 

 

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