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« Mes années chinoises », d’Annette Wieviorka, Stock, « Puissance des femmes », 220 p., 20 €, numérique 15 €.
Durant deux années, de 1974 à 1976, Annette Wieviorka a enseigné le français à Canton, en Chine. Maoïste, membre des Amitiés franco-chinoises, elle voulait « comprendre de l’intérieur l’alchimie de la révolution ». En 1970, elle avait accompli un premier « voyage militant » et, n’ayant rien pu ou voulu voir des massacres de masse et de la nature totalitaire du régime communiste, dont la brutalité était pourtant à son paroxysme en pleine Révolution culturelle (1966-1976), en était revenue décidée à s’installer durablement dans le pays.
Mes années chinoises est le récit de cet engagement, de son apogée à sa destruction, l’autoportrait d’une jeune femme aux prises avec son aveuglement et celui de son temps, qui, confrontée à la réalité, s’habitue peu à peu à la regarder en face. Récit de formation où l’on apprend à devenir soi-même en acceptant que tout ce qu’on a cru, tout ce qu’on a voulu faire vole en éclats, il tient à la fois de l’introspection et d’un travail de reconstitution de la Chine de Mao comme des milieux prochinois français.
Annette Wieviorka, directrice de recherche émérite au CNRS, spécialiste de la Shoah et de la Résistance, autrice, en particulier, du classique L’Ere du témoin (Hachette, 2002), y déploie son art d’historienne pour comprendre l’influence du totalitarisme maoïste sur une génération d’intellectuels français, dont elle partagea l’ivresse idéologique, avant de connaître un dégrisement qui, pour elle, représenta une initiation à la liberté de l’esprit.
Pourquoi avez-vous éprouvé le besoin de revenir sur cet épisode ?
C’est la citation des Psaumes que j’ai mise en exergue du livre : « Bien vite [les années] passent et nous nous envolons. » Je suis entrée dans mes dernières années, et j’avais envie de mettre un peu d’ordre dans le récit de ma vie. Cela impliquait de réfléchir à nouveau, à partir de la personne que je suis devenue, à l’expérience vécue par la jeune femme un peu fanatique qui s’est installée en Chine au début des années 1970.
Peu après mon retour, en 1979, j’avais consacré un livre à cette expérience, L’Ecureuil de Chine [Les Presses d’aujourd’hui], mais il n’était pas pensable de le rééditer. Je ne m’y reconnaissais plus. J’ai eu beaucoup d’autres expériences, à la fois dans ma vie et dans mon travail – dans mon travail, surtout : ma vie s’est quand même souvent confondue avec lui. J’avais besoin du poids de toutes ces années pour reprendre en profondeur ce que j’avais voulu raconter à l’époque. Je ne suis plus la jeune femme que j’étais. La Chine non plus n’est plus celle que j’ai connue.
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