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Après le génocide des Tutsi, qui a fait 800 000 morts entre avril et juillet 1994, près de 2 millions de Hutu sont partis sur les routes de l’exode. Parmi ces réfugiés, de nombreux civils mais aussi des soldats des Forces armées rwandaises, de hauts responsables du gouvernement génocidaire et des miliciens interahamwe ayant joué un rôle de premier plan dans « le crime des crimes » qui venait d’être perpétré au Rwanda.
Regroupés dans des camps de réfugiés au Zaïre (devenu la République démocratique du Congo, RDC), ils espéraient retourner au pays des mille collines et « finir le travail », selon leur expression. L’avancée du Front patriotique rwandais (FPR), sur des milliers de kilomètres, les en a empêchés.
Mais à quel prix ? Depuis plus de vingt ans, de hauts responsables politiques français accusent le FPR, dirigé par Paul Kagame, l’actuel président du Rwanda, d’avoir provoqué en RDC un « deuxième génocide », celui des Hutu. Ancien grand reporter au Figaro et cofondateur de la revue XXI, Patrick de Saint-Exupéry était au Rwanda au printemps 1994, puis dans les camps de réfugiés en RDC. Dans La Traversée (éd. Les Arènes), il retourne sur les pas de ces anciens réfugiés hutu pour vérifier ces accusations de « deuxième génocide ». A moto et en bateau, il plonge au cœur de la forêt équatoriale congolaise pour rencontrer des témoins et faire émerger la vérité.
Pourquoi avez-vous réalisé cette traversée de Kigali à Kinshasa ?
En 1994 au Rwanda, s’est produit un génocide, celui des Tutsi. C’est un fait et il est indiscutable. Après ce génocide, des rumeurs ont circulé disant qu’un autre génocide avait eu lieu, quasiment deux ans plus tard, en RDC, le pays d’à côté. Il aurait été commis contre des réfugiés hutu.
Un génocide, c’est un événement unique, singulier et inouï par son ampleur. Qu’il s’en soit produit deux en l’espace de deux ans dans la même région paraît difficilement crédible. Mais à Paris, Bruxelles ou Washington, des ministres, des hommes politiques, des humanitaires et des travailleurs de l’ONU ont distillé cette théorie. Je me suis alors posé une question simple : ce « deuxième génocide » a t-il existé ? Le seul moyen de le savoir était de retourner sur place et de traverser la RDC sur la route empruntée. Quand on est journaliste, le terrain est l’épreuve de vérité.
Qu’avez-vous découvert ?
Je ne conteste pas le fait qu’il y ait eu des morts et des massacres en RDC dans les camps de réfugiés hutu. Mais un massacre plus un massacre plus des tas de massacres ne font pas un génocide. Considérer qu’il y en a eu un deuxième, c’est réécrire l’histoire. Un génocide, c’est une extermination. C’est la destruction méthodique d’un groupe d’hommes et c’est différent de ce qui s’est produit. Au Rwanda, les extrémistes hutu ont voulu rayer tous les Tutsi de la surface de la Terre. Hommes, femmes, enfants, ils devaient tous disparaître. Tout avait été planifié pour cela.
Comment cette théorie du « double génocide » a-t-elle vu le jour ?
La première étape, qui est fondamentale, c’est lorsque François Miterrand, alors président de la République, introduit lors du sommet franco-africain de Biarritz, en novembre 1994, la notion de deuxième génocide [« Après les conditions de la mort du président Habyarimana, la guerre civile et les génocides qui s’en sont suivis… », déclare-t-il dans son discours]. François Mitterrand la présente très officiellement en tant que parole présidentielle. Une construction de plus en plus élaborée – et de manière totalement artificielle – va ensuite s’établir.
Des hommes politiques, comme Alain Juppé [ministre des affaires étrangères en 1994], vont reprendre cette théorie, sauf qu’ils vont s’appuyer sur des documents fournis par l’Institut François-Mitterrand. Hubert Védrine [secrétaire général de l’Elysée en 1994] est aujourd’hui le chef d’orchestre de cette négation, car cette notion de « double génocide » est une forme de négationnisme. En induisant cette notion, on essaie d’inverser la scène, de faire passer les victimes pour des coupables et inversement.
Le négationnisme est une bagarre de mots. A son procès, Théoneste Bagosora [considéré comme la plus haute autorité militaire pendant le génocide des Tutsi, il a été condamné en appel à trente-cinq années de prison par le Tribunal pénal international pour le Rwanda] n’a jamais reconnu le génocide. Il évoquait « des massacres excessifs ».
En 2010, l’ONU a publié le rapport Mapping sur les violations des droits humains et du droit international humanitaire entre 1993 et 2003 en RDC. Il évoque des « crimes de génocide »…
Juridiquement, ça ne vaut rien et c’est d’ailleurs écrit dans le rapport [« La question du génocide à l’encontre des Hutu demeure irrésolue jusqu’à aujourd’hui. Elle ne pourra être tranchée que par une décision judiciaire basée sur une preuve hors de tout doute raisonnable. »] Mais des gens mal intentionnés utilisent ce document en jouant sur les mots pour en faire un deuxième génocide. Tout le rapport Mapping est construit comme cela. On raconte une guerre comme on le ferait d’une extermination, avec le vocabulaire qu’on emploierait pour un génocide. C’est comme si on décrivait Waterloo avec les mots d’Auschwitz ! C’est inexact et c’est malsain.
Vous étiez dans ces camps après le génocide des Tutsi. Que se passait-il à l’intérieur ?
C’était le plus grand rassemblement de meurtriers que le monde ait connu. La haine suppurait de partout et l’ONU ne contrôlait plus rien. A l’intérieur, il y avait évidemment des innocents, qui servaient de boucliers humains, mais il y avait aussi tous ceux qui avaient participé au génocide. Progressivement, ils se sont réorganisés et réarmés grâce à des livraisons d’armes opérées par des sociétés françaises. Paris a soutenu ses alliés jusqu’au bout.
Dans le livre, je décris ma rencontre avec une activiste de la Lucha, un mouvement citoyen en RDC. Elle me raconte comment les réfugiés hutu se sont installés dans la région et comment ils ont inoculé dans la population le « goût de tuer », selon son expression. Elle m’explique que c’est comme une maladie, comme un virus qui s’est répandu à travers tout le Kivu [est de la RDC] et qui se propage encore aujourd’hui.
La Traversée, une odyssée au cœur de l’Afrique, de Patrick de Saint-Exupéry, éd. Les Arènes, 317 pages, 22 euros.
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