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Une vague de contestation d’une rare violence a secoué le Sénégal après l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko alors qu’il se rendait à une convocation du juge pour répondre d’une accusation de viol. Des manifestations ont éclaté dès le mercredi 3 mars pour réclamer la libération du leader du parti des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), mais très vite la mobilisation s’est nourrie de revendications économiques et sociales. Rejet du couvre-feu, explosion du chômage, crise des institutions démocratiques… Interrogé par Le Monde Afrique, le politologue Maurice Soudieck Dione revient sur cette crise multiforme.
Comment expliquez-vous que la contestation ait pris une telle ampleur ?
La crise politique s’est transformée en crise sociale, libérant l’expression des frustrations qui travaillent une partie de la population. La figure d’Ousmane Sonko a certes permis de fédérer ce mécontentement, mais le contexte de l’affaire est déterminant. Le malaise de la jeunesse, les difficultés économiques, la pauvreté, le chômage, la situation des rescapés et des rapatriés de l’immigration clandestine, les restrictions de libertés liées à la pandémie ont donné une virulence et une violence particulières à cette vague de contestation. L’instauration d’un couvre-feu dans les régions de Dakar et Thiès, par exemple, pèse lourdement sur le secteur informel.
Ces troubles étaient-ils prévisibles ?
On pouvait s’attendre aux manifestations des militants et sympathisants d’Ousmane Sonko en cas d’incarcération, d’autant que ce dernier se dit victime d’un complot pour l’écarter de la compétition politique, comme l’ont été avant lui Karim Wade et Khalifa Sall. Mais personne n’imaginait que la contestation prendrait cette tournure, avec l’attaque de symboles forts de l’Etat, comme l’incendie d’un tribunal et d’une brigade de gendarmerie. Le pays a été profondément ébranlé par la violence des manifestations, qui ont duré plusieurs jours, et par la détermination des manifestants dans la confrontation avec les forces de l’ordre.
Créé pour protester contre la répression et la censure de certaines applications et chaînes de télévision, le mot-clé #FreeSénégal est devenu viral sur les réseaux sociaux. La démocratie sénégalaise est-elle en danger ?
Elle est en tout cas menacée par les pratiques autoritaires du président Macky Sall et sa volonté d’étouffer toute opposition à son régime. Il a caporalisé les médias publics, notamment la RTS (Radio-Télévision sénégalaise), confiée à un responsable de son parti, Racine Talla, qui utilise cet organe comme un instrument de propagande au service du régime. La RTS n’a pas couvert les événements des derniers jours, alors qu’ils participent d’une crise politique majeure au Sénégal. Elle ne garantit pas le pluralisme, puisqu’elle écarte totalement l’opposition dans l’accès à ce média public, en violation flagrante de la loi. Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) n’est pas intervenu, alors qu’il s’est montré prompt à couper le signal de deux télévisions privées, Walf TV et Sen TV, pour une durée de 72 heures au motif qu’elles diffusaient en direct les manifestations.
Face à la montée des tensions, comment expliquer le silence des guides religieux, qui ont une grande influence au Sénégal ?
Les guides religieux ont en effet toujours joué un rôle de médiation pour apaiser les tensions politiques. Ils peuvent le faire publiquement ou plus discrètement. A travers leurs représentants, ils ont exprimé leur sentiment par rapport à cette crise en appelant au calme et en recommandant au président de la République de préserver la paix et la stabilité du pays. Mais il faut rappeler que les khalifes généraux ont mené de nombreuses médiations dans les affaires politico-judiciaires de Karim Wade et de Khalifa Sall et qu’ils n’ont pas été écoutés.
Comment envisager une sortie de crise ?
A mon avis, il faut commencer par libérer les militants emprisonnés. Certains ont été victimes d’arrestations préventives qui sont arbitraires au regard de la loi, en l’absence de faits avérés tendant à la réalisation d’une infraction. Les charges relatives à des infractions à connotation politique qui pèsent sur Ousmane Sonko, comme l’appel à l’insurrection et les troubles à l’ordre public, devraient également être abandonnées. Ce serait la meilleure manière de dépolitiser cette affaire. Concernant la plainte d’Adji Sarr pour viol et menaces de mort, la justice doit tirer cette affaire au clair de manière contradictoire et en toute impartialité. Ousmane Sonko a été placé sous contrôle judiciaire, c’est un premier pas pour apaiser la situation.
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