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Trop cher, le Quartier latin à Paris fait fuir ses librairies

Dans le Quartier latin, coeur du savoir dans la capitale française depuis le Moyen Âge, la fermeture prochaine de quatre librairies du groupe Gibert, l’un des plus anciens vendeurs de livres du pays, illustre les difficultés d’un secteur qui, étouffé par les prix de l’immobilier, se réinvente ailleurs.

Sur la rive gauche de la Seine, ce quartier où s’est établie l’université de la Sorbonne dès le XIIIe siècle abrite des dizaines de librairies: des plus petites, ultra-spécialisées sur le droit, l’occasion ou la littérature canadienne, aux gigantesques comme la boutique Gibert-Joseph et ses six étages sur le boulevard Saint-Michel.

Mais aujourd’hui avec sa flopée d’enseignes franchisées installées le long de ce boulevard reliant les bords de Seine à la Sorbonne, ce « pôle d’attractivité » est « devenu un centre-ville de province », lâche sans méchanceté apparente un libraire de Boulinier, vendeur historique du quartier.

Malmenée par la hausse des loyers, cette librairie, née au XIXe siècle sur ce même boulevard, a dû déménager son magasin principal vers un local plus petit au printemps dernier.

Axées sur le scolaire et l’universitaire, puis confrontées à la concurrence de la vente en ligne et de son mastodonte Amazon, les librairies du quartier ont vu leur nombre chuter de 43% en 20 ans, selon les chiffres communiqués à l’AFP par l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) sur les Ve et VIe arrondissements.

Des clients regardent les livres en promotion à la librairie Boulinier en novembre 2020 à Paris (AFP/Archives - Alain JOCARD)

Des clients regardent les livres en promotion à la librairie Boulinier en novembre 2020 à Paris (AFP/Archives – Alain JOCARD)

Le Quartier latin, épicentre de la révolte étudiante de mai 1968, reste un pôle universitaire majeur dans la capitale, mais moins de 10.000 étudiants y résident désormais, selon l’Insee.

Lentement, le centre de Paris, « embourgeoisé », moins peuplé, s’est tourné vers le tourisme, pendant que les facultés parisiennes se « décentraient » vers la périphérie et la banlieue, observe François Mohrt, urbaniste à l’APUR.

– Croissance chez les « petits » –

Les prochaines librairies à l’abandonner sont historiques: le groupe Gibert, premier libraire indépendant de France, qui y est installé depuis 135 ans, prévoit de fermer fin mars quatre de ses six boutiques Gibert-Jeune sur la très touristique place Saint-Michel, séparée par la Seine de la cathédrale Notre-Dame.

A Paris, comme dans le reste du pays, ce sont les librairies généralistes de quartier qui redonnent espoir au secteur (AFP/Archives - STEPHANE DE SAKUTIN)

A Paris, comme dans le reste du pays, ce sont les librairies généralistes de quartier qui redonnent espoir au secteur (AFP/Archives – STEPHANE DE SAKUTIN)

Entouré d’étagères déjà à moitié vides, un des 69 employés dont le poste sera supprimé confie à l’AFP: « C’est violent, mais on ne s’attendait pas à tenir 10 ans ».

En 2020, la pandémie a vidé la place de ses touristes, puis Bruno Gibert, un ancien dirigeant du groupe, a vendu l’immeuble qui abritait la plus grande librairie de la place. Les loyers ne pouvaient rester les mêmes pour ces magasins en difficulté… accélérant leur chute.

Pour préserver « le commerce culturel » et « enrayer sa décrue », la mairie de Paris essaie de préempter les murs des librairies en grande difficulté, explique l’adjointe en charge du Commerce Olivia Polski.

La mairie propose des loyers « légèrement en-dessous » des prix du marché, pour les ré-implanter en misant sur un modèle « qui fonctionne »: des petites librairies de proximité qui peuvent « faire aussi salon de thé », dit-elle.

Car à Paris, comme dans le reste du pays, ce sont les librairies généralistes de quartier qui redonnent espoir au secteur.

Ce sont les plus petites boutiques - celles au chiffres d'affaire inférieur à 300.000 euros par an - qui progressent le plus: leurs ventes ont bondi de 15% l'an passé (AFP/Archives - STEPHANE DE SAKUTIN)

Ce sont les plus petites boutiques – celles au chiffres d’affaire inférieur à 300.000 euros par an – qui progressent le plus: leurs ventes ont bondi de 15% l’an passé (AFP/Archives – STEPHANE DE SAKUTIN)

Selon le Syndicat de la librairie française (SLF), les librairies indépendantes ont renoué avec la croissance depuis 2017, malgré un léger recul en 2020 (-3,3%), pénalisées par « trois mois de fermeture » lors des confinements.

Ce sont les plus petites boutiques – celles au chiffres d’affaire inférieur à 300.000 euros par an – qui progressent le plus: leurs ventes ont bondi de 15% l’an passé.

Pour Guillaume Husson, délégué général du SLF: « Il y a un aspect social qui est incontournable aujourd’hui si l’on veut que sa librairie fonctionne ».

Et la proximité, les relations humaines entre libraires et clients sont des qualités que les lecteurs recherchent plus « dans les petites structures », constate-t-il.

les relations humaines entre libraires et clients sont des qualités que les lecteurs recherchent plus

les relations humaines entre libraires et clients sont des qualités que les lecteurs recherchent plus « dans les petites structures » (AFP/Archives – THOMAS COEX)

Le groupe Gibert tire la même leçon. Il gardera son magasin de six étages à côté de la Sorbonne mais écarte toute nouvelle ouverture dans le Quartier latin.

Et il réfléchit à ouvrir des librairies « de moins de 150m2 » dans des arrondissements parisiens excentrés et « éventuellement en banlieue », mais « la question primordiale des loyers devra d’abord se poser », indique à l’AFP son directeur général Marc Bittoré.

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