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Le service du renseignement intérieur allemand a décidé, mercredi, de mettre le parti populiste Alternative für Deutschland sous surveillance. Les services secrets allemands le soupçonnent d’être un parti d’extrême droite dangereux pour la démocratie.
L’Alternative für Deutschland (AfD) dans le collimateur des espions allemands. L’Office fédéral de protection de la Constitution, l’un des principaux services de renseignement contre les menaces sur le territoire allemand, soupçonne officiellement, depuis mercredi 3 mars, le mouvement d’être un parti d’extrême droite qui menace la démocratie allemande.
Jusqu’à présent, ces espions hésitaient sur cette qualification. Pourtant la plupart des médias allemands accolent depuis longtemps le terme d’extrême droite à l’AfD et les associations de lutte contre le racisme ont dénoncé à de multiples reprises les dérives anti-immigrés, et antisémites de certains responsables de ce parti. Mais si l’Office de protection de la Constitution s’y résout à son tour, c’est que le mouvement concerné représente une menace évidente pour le pays, ce qui a des conséquences qui peuvent aller jusqu’à son interdiction.
Tout l’arsenal de l’espion
Le service de renseignement intérieur s’était déjà intéressé, dans certaines régions, aux éléments les plus turbulents de l’Alternative für Deutschland. En mars 2020, il avait qualifié d’extrémiste Björn Höcke, le très controversé leader du parti en Thuringe. Il avait aussi effectué une grande enquête au niveau national, en 2018, mais en ne se basant que sur les documents et déclarations publiques pour évaluer si les valeurs de ce parti pouvait présenter une menace pour le pays.
Et les près de 1 000 pages de ce rapport n’ont pas dû rassurer les services secrets, qui veulent dorénavant tout savoir sur l’AfD, et sur tout le territoire.
“Concrètement, cette nouvelle étape lui permet de consulter les emails de tous les membres de l’AfD, de recruter des informateurs et de placer des agents infiltrés au sein de l’organisation pour surveiller les débats internes et mettre en place des écoutes téléphoniques”, résume Wolfgang Schroeder, politologue à l’université de Cassel et coauteur d’un ouvrage sur l’histoire de l’AfD, contacté par France 24.
La possibilité de mettre ainsi en branle le vaste éventail des armes classiques du renseignement “doit permettre de se rendre réellement compte des liens que l’AfD entretient avec les groupuscules les plus extrémistes en Allemagne, comme le ‘mouvement identitaire’ ou la ‘Nouvelle droite’ allemande”, souligne Robert Lüdecke, porte-parole de la Fondation Amadeu Antonio, une organisation de lutte contre l’extrémisme, contacté par France 24.
C’est aussi un moyen de “savoir comment le parti dépense les fonds qui lui sont alloués au titre de sa présence au Bundestag”, ajoute-t-il. En clair, l’Office de protection de la Constitution se donne les moyens de vérifier si les populistes de l’AfD n’utilisent pas les deniers publics pour financer des mouvements encore plus radicaux qu’eux.
Répercussions politiques
Cette mise sous surveillance est inédite. Elle revient à dire “que l’État, par le biais de son service du renseignement intérieur, déclare que le plus important parti d’opposition au Bundestag est soupçonné d’être un ennemi de la démocratie”, souligne la Süddeutsche Zeitung, le principal quotidien allemand de centre-gauche.
“Si ce n’est pas un acte politique en tant que tel, il va avoir des répercussions politiques inévitables”, juge Hans Vorländer, politologue à l’université de Dresde et spécialiste de l’extrême droite, contacté par France 24. L’Allemagne aborde, en effet, une année électorale très chargée avec les élections générales en septembre, et des scrutins régionaux à fort enjeu, comme en Thuringe ou en Saxe-Anhalt, deux Länders en ex-Allemagne de l’Est où l’AfD obtient traditionnellement des bons résultats.
La décision des services secrets allemands sera, de l’avis de tous les experts interrogés, exploitée politiquement, “mais il est difficile de savoir si cela va jouer en faveur de l’AfD ou non”, résume Wolfgang Schroeder.
D’un côté, “c’est une sorte de marque d’infamie qui peut pousser des électeurs tentés de voter pour l’AfD par protestation contre le pouvoir en place, plutôt que par idéologie, de se détourner d’un tel parti”, note Hans Vorländer. Cette mise sous surveillance peut aussi renforcer le cordon sanitaire républicain. “Dans certains Länder, les conservateurs traditionnels vont probablement désormais réfléchir à deux fois avant d’envisager de s’allier avec un parti soupçonné d’être d’extrême droite et antidémocratique par le service de renseignement”, estime Robert Lüdecke, de la Fondation Amadeu Antonio.
Mais ces populistes, toujours prompts à jouer les martyrs, chercheront probablement aussi à se présenter comme les victimes d’une tentative de museler le principal parti d’opposition. “C’est une stratégie qui a plus de chance de marcher à l’est car l’AfD pourra exploiter le souvenir encore vivace de la Stasi [la police politique du temps de l’Allemagne de l’Est] pour tenter de faire un parallèle avec l’Office de protection de la Constitution”, souligne Hans Vorländer.
Pour ce spécialiste, l’organisation même du parti populiste risque d’être chamboulée par cette mise sous surveillance. L’AfD est, en effet, secoué par une guerre des courants, entre les éléments les plus radicaux et des voix plus “modérées” qui “pourront essayer de profiter de l’occasion pour faire un grand nettoyage et bouter les extrémistes hors du parti”, note le politologue de l’université de Dresde.
D’autres jugent qu’avec sa décision, le service de renseignement intérieur joue au pompier pyromane. “Il ne faut pas oublier qu’il y a une partie des Allemands qui trouvent que l’AfD est le seul parti à proposer une alternative à une politique sanitaire du gouvernement qu’ils jugent de plus en plus contraignante. Et ces individus peuvent avoir l’impression qu’en stigmatisant ce mouvement, on leur ôte le seul moyen de protester légitimement contre le pouvoir”, estime Florian Hartleb, spécialiste des mouvements populistes et intervenant à l’université catholique d’Eichstätt.
Mais au-delà des implications politiques à court terme pour l’AfD, la surveillance des espions allemands peut devenir une question de survie. En effet, si à l’issue de leurs observations, ils estiment que le parti présente une réelle menace directe pour la démocratie, “ils peuvent déposer plainte devant le tribunal constitutionnel pour demander l’interdiction de l’AfD”, souligne Wolfgang Schroeder. Cela ne s’est produit que deux fois dans l’histoire de l’Allemagne de l’après-guerre, dans les années 1950, avec un petit parti nazi et avec le parti communiste.
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