« Non à l’impunité »: plusieurs milliers de personnes ont manifesté samedi en Martinique contre la menace de prescription dans le dossier du chlordécone, un insecticide accusé d’avoir empoisonné l’île et la Guadeloupe voisine où la mobilisation a démarré plus timidement.
« On n’avait jamais vu une manifestation aussi importante depuis 2009 ». Douze ans après la grève générale contre la vie chère, Francis Carole, président du Parti pour la libération de la Martinique (Palima) et conseiller exécutif chargé des affaires sanitaires de la collectivité territoriale, savoure ce retour des Martiniquais dans la rue.
Entre 10 et 15.000 personnes selon les organisateurs, 5.000 selon la police, certains portant des masques anti-Covid, d’autres non, comme Francis Carole: « Les Martiniquais se sont mobilisés par milliers », a souligné ce dirigeant divers gauche, pour répondre « au crachat que nous a lancé l’Etat français, à savoir la menace de prescription » dans le dossier de cet insecticide qui a infiltré les sols de l’île pour des centaines d’années.
– Air de carnaval –
Tambours, « chachas » (maracas), conques de Lambi (coquillage symbole de l’île qui sert aussi d’instrument) et chants: la gravité du sujet n’a pas empêché le rassemblement de se dérouler dans une atmosphère festive.
« Prescription dapré yo, di prefet a alé planté bannan » (« d’après eux il y aura prescription, dites au préfet d’aller planter des bananes »), ont notamment chanté les manifestants en reprenant l’air d’une chanson du carnaval, illégal cette année en raison du Covid-19.
Sans oublier, pour autant, le mot d’ordre de la quarantaine d’associations, de syndicats et de partis politiques de l’île qui avaient appelé au rassemblement: « non à l’impunité ».
L’insecticide a été autorisé entre 1972 et 1993 dans les bananeraies des Antilles, polluant eaux et productions agricoles, alors que sa toxicité et son pouvoir persistant dans l’environnement étaient connus depuis les années 60.
« Ils nous empoisonnent, ils nous tuent », proclame une banderole de la CGT Martinique tenue par deux femmes vêtues de rouge, pendant que d’autres avaient opté pour le rouge, vert ou noir, couleurs du drapeau adopté par une majorité de Martiniquais.
– Contamination générale –
Plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France, et les populations antillaises présentent un taux d’incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.
Sur une pancarte, un manifestant a calculé « la facture » martiniquaise pour l’Etat français: « plafond annuel de sécu (41.136 euros) X population concernée (370.000 habitants) X 500 ans = 7,6 milliards d’euros ».
Plusieurs associations de Martinique et de Guadeloupe ont été auditionnées les 20 et 21 janvier par les juges d’instruction parisiens en charge de l’affaire. Dès 2006, elles avaient déposé plainte contre l’empoisonnement de leurs îles au chlordécone.
Mais lors de cette audition, les juges d’instruction chargés de l’affaire depuis 2008 ont expliqué aux plaignants qu’il pourrait y avoir prescription des faits et que le dossier pourrait déboucher sur un non-lieu. Une option qui a heurté l’opinion et conduit à cette grande mobilisation ce samedi.
Pour Harry Bauchaint, membre du mouvement politique Péyi-A, « le gouvernement a prétendument reconnu une quelconque action mais n’a rien fait, et petit à petit se désengage ». « Le gouvernement doit protéger tous les Français », rappelle-t-il.
– « Réveil tardif » –
Si la mobilisation, dans le contexte sanitaire actuel, est un franc succès en Martinique, elle est plus timide en Guadeloupe où 300 personnes, selon la CGT locale, syndicat organisateur, ont participé à une manifestation simultanée à Capesterre-Belle-Eau.
L’avocat Harry Durimel, le maire de Pointe-à-Pitre à la pointe de ce combat, n’était pas présent. « Je me réjouis qu’il y ait un réveil mais il est tardif, c’est bien triste », a-t-il déploré auprès de l’AFP.
A Paris, lieu de la troisième manifestation simultanée, un peu plus de 200 personnes se sont rassemblées place de la République. « L’ensemble de la société française devrait prendre fait et cause pour qu’il n’y ait pas de prescription », a déclaré à l’AFP Toni Mango, responsable du Kolèktif Doubout Pou Gwadloup, pour qui la menace de prescription va servir de catalyseur à la mobilisation. « C’est un premier appel, une première manifestation depuis le Covid et on ne s’arrêtera pas là ».
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