La haute cour régionale de justice de Coblence, en Allemagne, doit rendre mercredi son verdict dans le procès d’Eyad al-Gharib, un membre présumé des services de renseignement syriens jugé pour complicité de crime contre l’humanité. Ce procès est le premier au monde à se pencher sur des exactions imputées au régime de Bachar al-Assad.
Attendu impatiemment par les défenseurs des droits de l’Homme, le verdict dans le procès d’Eyad al-Gharib, un membre présumé des services de renseignement syriens jugé pour complicité de crime contre l’humanité dans le centre de détention d’Al-Khatib à Damas, est attendu, mercredi 24 février, comme une concrétisation. Notamment des efforts combinés de victimes et d’activistes syriens, soutenus par des ONG, qui ont porté plainte devant des juridictions nationales européennes, et notamment en Allemagne.
« C’est un procès qui va connaître une première conclusion avec des victimes du régime syrien qui vont enfin obtenir justice, et cette première mondiale aura forcément une immense portée historique et symbolique », confie à France 24 Clémence Bectarte, avocate pour la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) ainsi que pour des ONG et des victimes syriennes impliquées dans ces procédures en cours en Europe.
En détention provisoire depuis le 12 février 2019 – jour de son arrestation et de celle de son supérieur hiérarchique, le colonel Anwar Raslan –, Eyad al-Gharib avait fait défection et fui son pays avant de rejoindre l’Allemagne, où les deux hommes ont demandé l’asile. Il est notamment accusé d’avoir participé à l’arrestation de manifestants emmenés par la suite à la prison d’Al-Khatib, entre le 1er septembre et le 31 octobre 2011.
Selon le parquet allemand, les détenus, qui pour beaucoup avaient participé aux manifestations contre le régime en mars 2011, ont reçu dans le centre d’Al-Khatib « des coups de poing, bâton, câble, fouet » et subi « des électrochocs ». Ces « sévices brutaux psychiques et physiques » visaient à extorquer « des aveux et des informations sur l’opposition », précise l’acte d’accusation.
« Un besoin de justice, une urgence même »
« Il y avait vraiment un besoin de justice, une urgence même de la part des victimes et de leurs avocats d’obtenir que des procédures judiciaires puissent avoir lieu, que les crimes soient qualifiés et que les bourreaux soient sanctionnés, poursuit Clémence Bectarte. Un verdict de condamnation confirmerait qu’il s’agit bien de crimes de contre l’humanité qui ont été et qui sont toujours en train d’être perpétrés par le régime syrien. »
Pour Amnesty International, la conclusion de ce procès constituera une étape majeure dans la lutte contre les atteintes aux droits de l’Homme commises par le régime du président Bachar al-Assad. « Ce verdict est très attendu parce qu’il s’agit d’une avancée extrêmement importante pour la lutte contre l’impunité », souligne l’avocate Jeanne Sulzer, responsable de la commission justice internationale chez Amnesty France, interrogée par France 24.
« Ce type de procès n’est possible que grâce à la proactivité et au courage incroyable des victimes qui, soutenues par des ONG, portent plainte malgré les risques, puisque certaines d’entre elles ont encore de la famille en Syrie », ajoute Jeanne Sulzer. « C’est grâce à ces victimes et au fruit de leurs efforts que pour la première fois, un verdict permettra de faire la lumière sur le système de torture systématique mis en place par le régime syrien dans les prisons et les centres de détention. »
Un juge « universel », le temps d’un procès
En attendant le verdict, le procès du supérieur hiérarchique d’Eyad al-Gharib, le colonel Anwar Raslan, qui doit répondre de la mort de 58 personnes et de la torture d’au moins 4 000 autres entre avril 2011 et septembre 2012, se poursuit, lui aussi grâce au principe de la compétence universelle.
Ce mécanisme juridique est présent dans un certain nombre de conventions internationales et permet à un juge national, dans certaines conditions, de juger des auteurs étrangers qui ont commis des crimes graves, dits internationaux, sur des victimes étrangères à l’étranger.
« L’idée derrière ce principe est que certains crimes sont si graves qu’ils heurtent la conscience humaine dans son ensemble, au point de créer la possibilité, voire parfois l’obligation, pour le juge national d’exercer cette compétence universelle, qui est dérogatoire et exceptionnelle, explique Me Clémence Bectarte. Ainsi, un juge allemand, le temps d’un procès, devient un juge universel qui rend justice au nom de la communauté internationale. »
Ce principe juridique a fait la une des médias en 1992, au moment de l’arrestation à Londres de l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, à la demande d’un juge espagnol, lui-même saisi par des victimes chiliennes.
« Ce mécanisme, que le grand public avait découvert lors de sa première application retentissante en 1992, est aujourd’hui en plein essor avec un nombre grandissant, chaque année, de plaintes qui sont déposées sur ce fondement devant des juridictions nationales », se félicite Clémence Bectarte.
« Une arme très importante pour les victimes »
Selon Me Jeanne Sulzer, avocate justice internationale et terrorisme, le principe de la compétence universelle permet de sortir de situations de blocage qui peuvent paralyser les mécanismes de justice internationale.
« Ce principe est une arme très importante pour les victimes parce qu’il permet de contourner les blocages diplomatiques qui peuvent apparaître sur certains dossiers, voire parfois le manque de volonté politique, argumente-t-elle. Je pense notamment aux blocages qui se sont manifestés au Conseil de sécurité de l’ONU, où les veto russes ont bloqué la saisine de la Cour pénale internationale. »
La délocalisation de tels procès, loin des théâtres où les crimes ont été commis, ne semble pas constituer, dans le cas syrien, un obstacle pour la constitution de preuves.
« Il existe dans le cas du conflit syrien un nombre important de preuves, qu’elles soient documentaires ou testimoniales, facilement accessibles par les autorités judiciaires, confie Me Clémence Bectarte. De nombreux témoins et victimes des crimes commis dans les geôles du régime syrien ont trouvé refuge en Europe et témoigné auprès de différents procureurs qui avaient ouvert des enquêtes, comme c’est le cas en Allemagne. »
De nombreux activistes syriens et défenseurs des droits de l’Homme ont également fait sortir de Syrie des preuves, souvent au péril de leur vie, notamment des archives du régime, des photos et des vidéos, qui ont ensuite été mises à disposition de la justice.
L’une des sources de preuves est le dossier « César », pseudonyme d’un photographe de la police militaire syrienne, qui a fui son pays en juillet 2013 en emportant des dizaines de milliers de clichés de cadavres de détenus morts de faim, de maladie ou de torture, photographiés entre 2011 et 2013.
« Nous ne connaissons pas le verdict qui sera prononcé à Coblence, mais une décision de condamnation validerait l’existence de ces preuves, et qu’elles peuvent résister à l’épreuve d’un procès et être suffisantes pour prononcer des condamnations alors même que les enquêteurs et les juges allemands n’ont jamais eu la possibilité de se rendre sur place ou de compter sur une quelconque coopération des autorités syriennes”, plaide-t-elle.
« Le début d’un processus »
Il n’en reste pas moins que ce principe ne s’active qu’en présence d’un auteur présumé sur le territoire de la juridiction saisie par les victimes. Les tortionnaires restés à Damas restent à l’abri des juridictions internationales et nationales.
« Le principe de la compétence universelle est, certes, imparfait, estime Clémence Bectarte, mais les audiences qui se sont tenues à Coblence ont démontré que la qualité des débats devant une justice indépendante a permis de mettre en lumière la responsabilité des accusés eux-mêmes, mais aussi, parce qu’il s’agit de crimes contre l’humanité, de dévoiler tout un système de répression qui s’est abattu sur la population syrienne.”
L’avocate rappelle que la Syrie est, après le génocide au Rwanda, « la deuxième situation de crimes qui connaît un aussi grand nombre d’enquêtes ouvertes à travers l’Europe et ailleurs » sur le fondement de la compétence universelle. Il y a d’ailleurs une procédure en cours en France contre un ressortissant syrien qui appartenait à la même branche en charge du centre de détention d’Al-Khatib que les deux accusés du procès de Coblence.
« C’est dans ce contexte qu’il faut inscrire ce procès qui va connaître sa conclusion en Allemagne. C’est l’aboutissement de quelque chose, certes, mais c’est également le début d’un processus, c’est la première étape dans la quête de justice des victimes syriennes”, conclut Clémence Bectarte.
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