Des milliers de manifestants sont descendus, lundi, dans les rues d’Alger et de plusieurs villes du pays pour le deuxième anniversaire du Hirak. Depuis 2019, les revendications des militants sont identiques mais le mouvement populaire de protestation a été fragilisé par le Covid-19 et les tentatives du régime de l’affaiblir.
En Algérie, le mouvement de protestation du Hirak célèbre, lundi 22 février, ses deux ans d’existence. En 2019, des centaines de milliers de manifestants avaient envahi les rues d’Alger après plusieurs jours de contestation dans d’autres villes du pays, signe d’un ras-le-bol de la population vis-à-vis d’une classe dirigeante jugée corrompue.
Ce soulèvement populaire, inédit depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, avait conduit le 2 avril 2019 à la chute du président Abdelaziz Bouteflika, alors au pouvoir depuis deux décennies et candidat à un cinquième mandat.
L’année dernière, la pandémie de Covid-19 avait mis un coup d’arrêt au mouvement. Les militants avaient décidé de suspendre la mobilisation après un dernier vendredi d’action, le 28 février 2020. Mais la mobilisation s’est ravivée ce lundi avec le deuxième anniversaire du Hirak. Des milliers de manifestants ont défilé à Alger et d’autres rassemblements ont eu lieu dans le pays, à la suite d’appels à manifester lancés sur les réseaux sociaux.
« Nous ne sommes pas venus pour célébrer (le deuxième anniversaire du Hirak, NDLR), mais réclamer votre départ », ont notamment scandé les protestataires, selon l’AFP. Comme deux ans auparavant, les militants réclament un profond changement du système politique en place, veulent se débarrasser de la corruption et exigent plus de libertés.
« Le mouvement continue à faire circuler ses idées et souhaite toujours construire une alternative. Il garde aussi une ambition simple : mettre fin à la gouvernance du régime », résume Luis Martinez, spécialiste du Maghreb au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po, contacté par France 24.
Un mouvement toujours sans leadership
Deux ans après sa naissance, le Hirak reste un mouvement autonome et non une force politique structurée. « Cette organisation a pour avantage d’empêcher de coopter ou de court-circuiter les leaders. Mais si le Hirak reste un mouvement de contestation et ne se transforme pas pour rejoindre les institutions algériennes, le mouvement peut disparaître et être vampirisé par des partis », craint Luis Martinez, qui rappelle que le mouvement est « hétéroclite » et « divisé ».
Le scénario pourrait se préciser dans les prochains mois. En effet, le président Abdelmadjid Tebboune a dissous dimanche l’Assemblée populaire nationale (APN), la chambre basse du Parlement, dont le mandat devait expirer en 2022. Cette décision ouvre la voie à des élections législatives, qui, selon la Constitution algérienne, doivent se tenir au maximum dans les six mois.
Abdemadjid Tebboune a par ailleurs procédé dimanche à un remaniement de son gouvernement, très attendu en Algérie mais dont la portée reste limitée. Le Premier ministre, Abdelaziz Djerad, conserve ainsi son poste alors qu’il est très critiqué pour sa gestion de la crise sanitaire et pour son bilan économique. Le ministère de la Justice reste dirigé par Belkacem Zeghmati, engagé dans la lutte contre la corruption et dans une répression judiciaire contre l’opposition et les militants du Hirak.
En revanche, les départs se sont multipliés dans les ministères liés à l’économie, comme à l’Énergie, à l’Industrie ou encore au Tourisme, signe que le gouvernement tente de sortir l’Algérie du marasme économique. La monnaie est dévaluée, l’inflation galopante, la croissance devrait être négative en 2021 et des milliers de commerces ont mis la clé sous la porte.
Ce tableau économique, qui est difficile à assumer pour Abdelmadjid Tebboune, est propice à une « convergence des luttes », selon Karim Yahiaoui, journaliste de France 24. « D’une part, des Algériens réclament plus de démocratie et un changement de système profond de la Constitution, d’autre part, dans un certain nombre de villes, la colère gronde sur des aspects socio-économiques », explique-t-il.
« Calmer le jeu », une stratégie du pouvoir ?
Jeudi, le président a fait preuve d’un autre geste d’apaisement auprès du mouvement de protestation, en décrétant une grâce présidentielle en faveur d’une soixantaine de détenus d’opinion. Pour l’heure, près de 40 prisonniers ont été libérés, dont l’opposant Rachid Nekkaz et le journaliste Khaled Drareni, condamné à deux ans de prison en septembre dernier et devenu le symbole du combat pour la liberté de la presse en Algérie. Mais plusieurs membres du Hirak sont encore emprisonnés.
Dans un communiqué publié lundi, Amnesty International exhorte le pouvoir à « libérer immédiatement et sans condition tous les autres manifestants pacifiques, militants et journalistes poursuivis ou détenus pour avoir exprimé leurs opinions ou protesté pacifiquement et d’abandonner toutes les charges retenues contre eux ».
Ces amnisties, saluées par Emmanuel Macron, font écho à la remise en liberté de 76 militants du Hirak, en janvier 2020, au lendemain de l’élection d’Abdemadjid Tebboune en décembre 2019. « Dans les mois qui ont suivi, les prisons se sont à nouveau remplies », rappelle Karim Yahiaoui. D’après lui, ce passé renforce la crise de confiance entre la population et le gouvernement.
« Ces libérations de prisonniers auraient pu sonner comme une volonté claire de changement. Mais un certain nombre d’opposants et de membres de la société civile sont tout de même méfiants », poursuit le journaliste. Selon lui, il peut s’agir d’une stratégie politique, destinée à « calmer le jeu et faire taire la rue ».
C’était déjà l’objectif du pouvoir le 1er novembre dernier, avec l’organisation d’un référendum sur une réforme de la Constitution. Celle-ci limite à deux le nombre de mandats présidentiels et facilite la création d’associations et l’exercice du droit de réunion et de manifestation. Malgré une abstention record, le projet avait été adopté, sans pour autant convaincre les partisans du Hirak, qui aspirent aujourd’hui encore à un profond changement du système politique algérien.
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