Publié le : 19/02/2021 – 18:26
En cinq ans d’existence, l’association Tchado-star, créée à partir de rien par un danseur tchadien, a pu extraire 584 enfants des rues de N’Djamena. Pour les attirer, son fondateur Aleva Ndavogo Jude utilise la danse, à laquelle il initie ensuite ceux qui le souhaitent. Une action nécessaire dans un pays où les enfants des rues sont de plus en plus nombreux, notamment à cause des troubles causés par Boko Haram dans le sud.
Vivre à la rue quand on est mineur, Aleva Ndavogo Jude sait de quoi il retourne. Sa passion pour la danse ne plaisait pas à son père, et il a dû quitter le domicile familial de N’Djamena à l’âge de 14 ans. Il a passé deux ans dans les rues de la capitale tchadienne, avant d’être repéré et d’obtenir une bourse pour s’inscrire dans un centre de formation aux danses africaines, l’école des sables à Dakar, au Sénégal.
De retour à N’Djamena en 2016, il crée l’association Tchado-Star. En 2017, l’association remporte un appel à projets lancé par l’ONG Reach for change en partenariat avec la société téléphonie Tigo, qui lui permet de se financer un local.
La tâche est immense : si aucune statistique ne permet aujourd’hui de dire précisément combien d’enfants vivent dans les rues de N’Djamena, selon Tchado-star, leur nombre a augmenté de 30 à 40 % par rapport au début des années 2010. Car si le phénomène des enfants des rues existe ailleurs en Afrique centrale et de l’Ouest, « la spécificité au Tchad, c’est que la plupart des enfants se retrouvent dans la rue à la suite de parents décédés de conflit intercommunautaires ou religieux, ou d’actes de terrorisme », explique le fondateur de l’association.
Échauffement matinal au centre Dakouna espoir de l’association Tchado-star, en juin 2020.
« Certains décident de nous suivre, d’autres préfèrent rester dans la rue »
Mon idée de départ, c’était de donner une chance à ces enfants, en les formant à la danse pour ensuite les recruter dans ma compagnie. Mais j’ai tout de suite vu que tout le monde ne voulait pas faire de la danse. Chacun vit ses ambitions : certains c’est d’aller à l’école, d’autres de faire une formation.
Mais la danse reste un très bon moyen d’approche. La danse, ça donne de la joie, du sourire aux enfants et ça les attire, dans la rue tous ceux qui nous croisent viennent faire quelques pas avec nous. Ces prestations que nous organisons dans la rue ont un double impact : d’abord on sensibilise les enfants sur les méfaits de la rue, et la population qui voit le spectacle est sensibilisée à la condition de ces enfants, qui sont souvent stigmatisés.
Un groupe d’enfants dorment dans la rue à N’Djamena.
On fait des maraudes pour les repérer, les approcher. La première chose qu’on regarde, c’est s’il y a un problème de santé, si c’est à traiter vite, dans quel cas l’enfant est accompagné au centre, et on lui assure une prise en charge médicale. On les rencontre sur leur lieu de vie : les enfants sont souvent près des marchés pour trouver de quoi subsister. Les premiers contacts ne sont pas forcément faciles, il faut les convaincre de venir avec nous.
Certains décident de nous suivre et de rejoindre le centre, mais d’autres préfèrent rester dans la rue, ils s’estiment indépendants et préfèrent chercher un moyen de subvenir à leurs besoins, même dans la rue. Mais souvent, ils acceptent de faire des activités sur place avec nous. Pour ceux-là, on va revenir régulièrement leur proposer des activités ludiques, de la danse, des films éducatifs. Nous n’avons de toute façon pas les capacités de les prendre tous en charge.
Il faut gagner la confiance de ces enfants : par exemple, avec l’argent récolté par les spectacles de rue, on achète des tickets repas qui leur permettent de se payer à manger.
Distribution de tickets alimentaires aux enfants avec l’argent d’un spectacle de rue.
Ceux qui acceptent de nous suivre au centre sont suivis par des psychologues. On a plusieurs activités éducatives : des cours de remise à niveau pour les enfants déscolarisés, alphabétisation, rattrapage de niveau, activité éducative à la citoyenneté et l’environnement, et des activités ludiques, des films éducatifs, matchs de foot, du théâtre, des cours de danse. Et on essaye de scolariser tous ceux qu’on peut.
Au centre Dakouna espoir de l’association, des enfants suivent un cours d’anglais avec un enseignant bénévole, en février 2020.
À 18 ans, certains partent pour des formations, en mécanique, en ingénierie, en couture, en partenariat avec des entreprises privées. Grâce à des partenariats que nous avons tissés avec certaines d’entre elles, ces enfants apprennent des métiers sur 3 à 6 mois.
La danse est aussi ce qui permet à Tchado-star de se financer. Outre les prestations dans la rue rémunérées au chapeau, l’association est programmée dans des maisons culturelles, comme l’Institut français. Les cachets permettent d’assurer la prise en charge des enfants. Tchado-star est aussi soutenu par le ministère de l’Action sociale et l’Unicef.
Performance des enfants de Tchado-star lors d’un forum jeunesse à N’Djamena en 2017.
Spectacle de rue des enfants de Tchado-star.
Dans les rues de N’Djamena, les enfants vivent en bande de 10 à 25 membres. Méprisés par la population, sans chance d’accéder à l’école, ils subsistent souvent difficilement, s’exposent à la drogue et à la prostitution. Sur les 584 enfants pris en charge par Tchado-star depuis 2016, 400 ont été remis dans leur famille.
« Les groupes terroristes leur font miroiter du travail et de l’argent et ils les emmènent en fait au combat »
Si ces enfants se retrouvent à la rue, c’est à cause de la maltraitance des parents, le divorce, la pauvreté. Certains parents n’acceptent rien du tout, d’autres refoulent leur enfant. Quand les parents acceptent on assure un suivi. Pour ceux qui ont perdu leurs parents, ou qu’on ne retrouve pas, on les garde avec nous et on essaye de les orienter.
Les enfants des rues sont une cible de recrutement des groupes terroristes. On leur fait miroiter du travail et de l’argent, et on les emmène en fait au combat. Des enfants se sont échappés et nous ont raconté ça, certains viennent d’ailleurs aussi, du Cameroun ou du Nigeria. Quand nous récupérons des enfants qui ont eu ce genre d’expériences, nous les remettons aux autorités.
Nos relations avec les autorités étaient compliquées au départ : elles ne comprenaient pas comment on pouvait associer le domaine culturel et l’action sociale. Aujourd’hui, nous commençons à avoir de la reconnaissance : la Première dame, Hinda Deby Itno, est venue visiter nos locaux. Et nous sommes en voie d’être reconnus comme ONG nationale de sécurité publique. Nous espérons obtenir bientôt ce statut, qui nous permettra d’avoir des financements.
Selon l’Unicef, en 2018, 30 millions d’enfants vivaient dans les rues en Afrique. Sur 14 millions d’habitants au Tchad, 45 % ont moins de 15 ans, un des taux les plus élevés du continent.
Pour contacter Tchado-star, vous pouvez leur écrire sur leur page Facebook.
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