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Menacée par le covid, comment la montagne se réinvente

Il y a deux catégories de personnes dans les stations de montagne : ceux qui parlent « d’une saison blanche » et ceux qui se désolent de vivre « une période noire ». Noir ou blanc, une chose est sûre, avec des remontées mécaniques à l’arrêt, et après un exercice 2020 déjà tronqué en raison du premier confinement, l’économie de la montagne est exsangue. Certes, nombre de vacanciers sont au rendez-vous. Ils font des promenades en raquettes, du ski de randonnée, mais économiquement, c’est une goutte d’eau en comparaison avec les énormes ventes générées par les forfaits. Le secteur de l’or blanc qui pèse 10 milliards d’euros, toutes activités confondues (commerce, tourisme, transports, restauration…), est totalement dépendant des remontées mécaniques.

Véritables machines à sous, les tire-fesses, télésièges et téléphériques créent d’ordinaire 18 000 emplois directs (120 000 indirects) chaque année en attirant 10 millions de visiteurs dans les stations. « Les vacanciers considèrent parfois qu’ils paient leur forfait trop cher, mais ils ne savent pas que ce prix couvre toute une palette de services, d’investissements lourds et de dépenses de sécurité », explique Yariv Abehsera, le PDG du tour-opérateur spécialisé Travelski. Les familles y consacrent 16 % de leur budget de vacances en moyenne. C’est leur deuxième dépense à

la neige, derrière le logement (29 %), mais devant les courses (15 %) et la location des skis (5 %). « Un euro dépensé dans les remontées mécaniques engendre six euros de dépenses en station », souligne Alexandre Maulin, le président de Domaines skiables de France. Historiquement, l’autre moteur économique de l’or blanc français, c’est l’immobilier. Mais les pressions écolos et la pénurie de terrains constructibles ont freiné les projets depuis quelques années déjà.

Le spectacle est saisissant à Val-d’Isère. On n’entend plus le ronronnement des remonte-pentes ni les claquements des ressorts des téléskis. Mais le calme n’est qu’apparent. En raison du redoux, les avalanches se sont multipliées début février.

« J’étais avec nos équipes lorsque nous avons retrouvé ce père de famille encore en vie après trois heures sous la neige », raconte Patrick Martin, le maire de la station, encore sous l’émotion. Pour l’entretien du domaine skiable, assuré par une régie sous sa responsabilité, il emploie 100 pisteurs en temps normal, mais 68 sont au chômage partiel depuis le début de l’épidémie. Faute du revenu des forfaits, ses moyens sont limités. « Nous devons assumer les coûts exorbitants d’entretien, de déblayage et d’assistance, plus de 8 millions d’euros. » Du coup, le bouclage du budget municipal vire au casse-tête pour cette petite commune qui détient 15 engins de damage et doit en remplacer trois à 400 000 euros l’unité.

Dans les stations, les commerçants aussi ont adapté leur offre à un nouveau type de vacances à la neige, même si la transition est douloureuse. « Je n’ai ouvert qu’un magasin sur trois, avec des raquettes, skis de randonnée et luges, témoigne Capucine Blanchoz à la tête des magasins de location Belle Plagne Sports. Mais la chute de notre chiffre d’affaires est de 97 %. »

Comme elle avait passé ses commandes de vêtements et de matériel un an à l’avance, cette commerçante a des stocks remplis et n’achètera rien cette année à ses fournisseurs, Salomon, Rossignol, Fusalp et autres fleurons de la glisse. Un véritable séisme pour ces marques spécialisées. Leurs ventes plongent quant à elles de plus de 70 %.

Clientèle étrangère absente

Les rois de la montagne festive et branchée comme le Club Med et les restaurants La Folie Douce sont à l’arrêt, mais ils prévoient qu’après cette longue déprime, l’envie de s’amuser reprendra le dessus. La crise est en train d’accélérer des évolutions déjà anciennes. Ainsi, parmi la grande variété d’hébergements disponibles sur les massifs français, le modèle de la résidence de vacances et celui du chalet familial s’en sortent le mieux.

Après avoir dû fermer l’ensemble de ses sites, le groupe Pierre & Vacances, financièrement asphyxié, a changé son fusil d’épaule pour les vacances. L’entreprise créée il y a cinquante ans par Gérard Brémond à Avoriaz ouvre 47 de ses 70 résidences de montagne entre le 13 février et le 7 mars, avec des prix en baisse de 30 %, réservation et annulation possibles à la dernière minute.

« Les petites stations familiales, en moyenne altitude, qui avaient déjà appris à moins dépendre du ski alpin, vont mieux résister. » Frédérique Lardet, députée LREM de Haute-Savoie.

Les aides annoncées le 1er février par le Premier ministre Jean Castex vont permettre d’éviter le pire. Déjà 4 milliards d’euros ont été mobilisés (dont 2,3 milliards d’euros de prêts garantis par l’Etat, 600 millions de fonds de solidarité et 500 millions affectés au chômage partiel). « Difficile de prévoir l’étendue des dégâts, mais on voit que les petites stations familiales, en moyenne altitude, qui avaient déjà appris à moins dépendre du ski alpin faute d’un enneigement suffisant, vont mieux résister », analyse Frédérique Lardet, députée LREM de Haute-Savoie. En revanche, pour les grandes stations des Alpes, la crise est d’autant plus grave que 60 à 80 % de leurs clients sont étrangers. Elles devront investir lourdement pour retrouver leur rythme de croisière.

Plan montagne au printemps

Les évolutions sont brutales mais elles étaient déjà visibles. « Au moins une personne par famille ne skie pas ou plus, souligne Artur Reversade, le directeur de La Folie Douce. Cela incite les stations à diversifier les activités et à sortir d’une logique 100 % ski alpin. » Des loisirs considérés jusqu’alors comme marginaux sont plébiscités, tels le vélo sur neige, le yooner et le snooc (des hybrides de la luge et du ski), les balades en motoneige ou avec chiens de traîneau ou même le ski-joering (tracté par un cheval). Mais, pour l’heure, c’est de l’artisanat, qui ne générera pas avant longtemps des revenus aussi importants que les remontées mécaniques, idéales pour remplir les tiroirs-caisses d’un tourisme de masse.

« Le Plan montagne qui sera lancé au printemps prochain permettra de proposer une offre plus verte, plus diversifiée et plus compétitive », a promis Jean Castex. Les grandes lignes sont connues : il faut étendre la saison d’hiver, renforcer l’accueil et les activités d’été, passer d’une exploitation intensive à une gestion extensive de l’espace, sans perturber ce qu’il reste d’agriculture et de paysages. Les professionnels pensaient avoir une quinzaine d’années pour réussir une telle mutation, ils n’auront que deux ou trois ans… pour déplacer des montagnes.

 

 

 

A Avoriaz (Haute-Savoie), en décembre 2020. Côté hébergement, les résidences de tourisme et le chalet familial sont les modèles qui s'en sortent le mieux. Parfois avec des rabais de 30 %.

 

A Avoriaz (Haute-Savoie), en décembre 2020. Côté hébergement, les résidences de tourisme et le chalet familial sont les modèles qui s’en sortent le mieux. Parfois avec des rabais de 30 %.

(J.-B. Premat/Hans Lucas/AFP)

 

Jean-François Arnaud

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