Au Château de Laubade, dans le sud-ouest de la France, comme chez les autres exportateurs d’armagnac, la surtaxe américaine de +25% frappant leurs plus belles bouteilles, a du mal à passer.
« Nous sommes inquiets, les Etats-Unis c’est notre premier marché, un marché très dynamique qui représente 35% de nos ventes », souffle François Laura, le gestionnaire de cette propriété familiale, située dans le Bas Armagnac, un terroir qui s’étend du Gers aux Landes.
Les producteurs déplorent être « pris en otage » dans un conflit transatlantique sur les aides publiques à l’aéronautique. « Il faut que la diplomatie nous sorte de ce contentieux qui ne nous concerne pas, nous sommes des victimes collatérales », plaide Olivier Goujon, le directeur du Bureau national interprofessionnel de l’armagnac (BNIA).
Le grand frère cognac est également touché, mais à un degré moindre, par ces représailles américaines.
« On tire la sonnette d’alarme, car on craint pour nos ventes. Après l’annonce de la nouvelle taxe, des commandes prêtes à partir vers les Etats-Unis ont été annulées », dit d’un ton préoccupé le patron de l’interprofession, basé à Eauze, petite ville gasconne où on trouve la première mention de l’armagnac, dans un écrit de 1310 qui vante ses 40 vertus.
– Marché historique –
Pour la filière armagnac, les Etats-Unis sont « un marché historique, précieux pour nous, d’amateurs de spiritueux, de bouteilles de plus de 10 ans d’âge, des millésimés, des produits à forte valeur ajoutée, le Graal de notre appellation, un symbole de l’art de vivre à la française », détaille Olivier Goujon.
Depuis le 12 janvier, une des dernières salves de l’administration Trump, les Etats-Unis infligent une nouvelle taxe qui fait par exemple bondir le prix d’une bouteille d’armagnac de 100 à 125 dollars, une fiscalité qui touchait déjà les vins depuis octobre 2019, mais pas le champagne.
Les sept chais du Château de Laubade, qui exporte dans 50 pays, renferment environ 2.500 barriques de 400 litres d’armagnacs de tous âges. Le château de style normand, bâti au XIXe siècle, est entouré de 100 hectares de vignes, notamment de Baco, le cépage emblématique de l’appellation, très résistant.
Au dessus du bureau du maître de chai, un escalier mène au « Paradis », une salle d’un trentaine de mètres carrés où vieillissent dans des dames-jeannes (bombonnes rondes) les pépites du domaine appartenant à la famille Lesgourgues, qui possède également un château dans le bordelais (Graves), un autre dans le Madiran et une société de distribution à New York.
Le joyau de la collection est un millésime de 1888.
– L’espoir Biden –
Cinq millions de bouteilles de ce digestif artisanal, ambré, d’au moins 40 degrés sont vendues chaque année, bien moins que le géant cognac. Et depuis trois ans, les exportations dépassent les ventes en France.
« Cette internationalisation permet une meilleure valorisation d’un produit de terroir authentique, à forte notoriété et à forte identité », souligne le représentant de l’interprofession.
Les ventes d’armagnac vers les Etats-Unis constituent 15% du volume total des exportations, mais 25% en valeur, car il s’agit essentiellement du haut de la gamme. La Chine est avec les Etats-Unis le principal client étranger.
Aux Etats-Unis, les négociants et distributeurs sont tout aussi remontés contre la surtaxe. Les acteurs de la filière essaient de se répartir la perte de marge afin que le prix pour les consommateurs ne soit pas trop impacté.
En espérant que cela ne dure pas. « On espère que l’arrivée au pouvoir de Jo Biden permettra de changer la donne », lâche François Laura.
Le 17 janvier, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a réclamé un moratoire sur les surtaxes visant des produits français et allemands. De leur côté, cognacs et armagnacs font aussi du lobbying.
En 2020, année difficile, la vigueur des ventes aux Etats-Unis « a atténué les effets de la crise sanitaire », relève le maître de chai de Laubade Mickaël Beau.
La production d’armagnac requiert du temps et de la patience. Un armagnac distillé en décembre 2020, ne sera commercialisé qu’entre 2026 ou 2035.
« Nous avons un rapport au temps particulier, mais cette taxe est intenable dans la durée », alerte le directeur du Château de Laubade.
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