L’élimination dans le sud du Liban, le 4 février, de l’intellectuel Lokman Slim, farouche opposant au Hezbollah, formation politico-militaire chiite aux liens étroits avec Damas et Téhéran, a fait resurgir dans ce pays le spectre des assassinats politiques. Karim Emile Bitar, directeur du département de sciences politiques de l’université Saint-Joseph de Beyrouth, retrace l’histoire de ce fléau, récurrent au Liban, et analyse ses ressorts et ses conséquences sur la vie politique locale.
Comment comprendre historiquement le recours aux assassinats politiques ?
Les assassinats politiques servent à éliminer des gêneurs, mais aussi à semer le chaos, pour infléchir le cours de l’histoire, en créant un choc, en faisant couler plus d’encre que de sang. Les penseurs anarchistes russes l’ont théorisé. Ils parlent de la « propagande par le fait », de la possibilité par ces actions d’accentuer les lignes de faille au sein d’une société, d’enclencher des cycles de violence et de répression qui forceraient la population à choisir son camp.
A quand remontent les assassinats politiques au Liban ?
L’un des premiers assassinats à avoir marqué le XXe siècle, au Liban, est celui du leader druze Fouad Joumblatt, en 1921, victime d’une rivalité entre familles du Chouf. C’est le père de Kamal Joumblatt, lui-même assassiné en 1977, et le grand-père de Walid Joumblatt, actuel chef de file de cette communauté. A son domicile de Beyrouth, ce dernier a accroché au mur un portrait de son grand-père, un autre de son père, a laissé une place vide pour le cas où il serait lui aussi éliminé.
Après la fin du mandat français (1923-1943), le premier assassinat politique est celui du premier ministre Riad Al-Solh, le père de l’indépendance. Il est tué en 1951, [à Amman], par des membres du Parti social nationaliste syrien (PSNS), en représailles à l’exécution de leur chef Antoun Saadé, un an et demi plus tôt, à l’issue d’une mascarade de procès pour sédition. Un centre d’étude libanais a recensé 104 assassinats, depuis 1943, visant des hommes politiques, des journalistes, des diplomates et des figures religieuses, et 94 tentatives d’assassinats.
Peut-on distinguer différentes périodes ?
Le phénomène prend de l’ampleur dans les années 1970, à la faveur de la guerre civile (1975-1990), du déplacement du conflit israélo-palestinien sur le territoire libanais, et parce que le pays du Cèdre devient le théâtre de rivalités entre puissances régionales ou internationales. A partir de là, on distingue plusieurs « familles » d’assassinats, qui correspondent parfois à des phases chronologiques distinctes : les éliminations conduites par Israël de figures palestiniennes, comme l’écrivain Ghassan Kanafani en 1972 et l’opération de la rue Verdun en 1973, fatale à trois cadres de l’OLP ; les règlements de compte entre factions libanaises pendant la guerre civile, comme la liquidation du leader chrétien Tony Frangié, en 1978, par ses rivaux des Phalanges libanaises ; les assassinats commandités pendant ce conflit par des acteurs régionaux, dont celui de Bachir Gémayel, le chef des phalangistes, en 1982, quelques jours après son élection à la présidence, tué par un membre du PSNS à l’instigation de Damas. Puis il y a les assassinats par Israël de dirigeants du mouvement chiite Hezbollah, comme Abbas Moussaoui, foudroyé par un tir de missile en 1992.
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