Avec la démission du président du Sénat, vendredi, l’élection d’un nouveau président à l’Assemblée nationale et l’éviction du Premier ministre, le président congolais, Félix Tshisekedi, prend la main dans un pays où son prédécesseur, Joseph Kabila, semblait pourtant indéboulonnable.
Deux ans. C’est le temps qu’il a fallu à Félix Tshisekedi pour écarter son prédécesseur Joseph Kabila du pouvoir. La tâche semblait pourtant quasi-impossible. Lorsqu’il accède à la magistrature suprême en janvier 2019, à la faveur d’un accord électoral conclu avec son rival, Félix Tshisekedi a une marge de manœuvre réduite : le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila contrôle les deux tiers des sièges au Parlement, et le nouveau président est contraint de former un gouvernement de coalition, dans lequel son propre camp est minoritaire. Sans compter qu’avant de céder sa place, son prédécesseur, aux affaires depuis 2001, a verrouillé les principales institutions du pays : commission électorale, Cour constitutionnelle, armée et services de renseignement.
Deux ans plus tard, la page Joseph Kabila est sur le point d’être tournée. Après avoir destitué en décembre le bureau de l’Assemblée nationale, les députés FCC ont rejoint en grande majorité l’Union sacrée, le nouveau groupement politique de Félix Tshisekedi, qui rassemble désormais 391 des 500 membres de la chambre basse. Ces mêmes députés ont voté, le 27 janvier, une motion de censure pour renverser le Premier ministre pro-Kabila et son gouvernement.
Tout s’est passé très vite. Mais en coulisses, les deux camps s’affrontent depuis longtemps : « Il n’y a jamais vraiment eu de confiance, explique Trésor Kibangula, analyste au Groupe d’étude sur le Congo. Chacun a toujours cherché à voir comment il pouvait fragiliser l’autre. »
Pendant un an et demi, la coalition vit au rythme des querelles et des coups bas. Le camp Tshisekedi interdit à certains proches de Kabila, dont sa sœur jumelle, Jaynet, de voyager. De son côté, le FCC tente de faire passer des réformes judiciaires contestées et d’imposer son candidat à la tête de la Commission électorale. Le point de non-retour est atteint lorsque Félix Tshisekedi nomme en juillet trois nouveaux juges à la Cour constitutionnelle, profitant de l’absence du Premier ministre. Le camp Kabila crie au scandale et refuse d’assister à la cérémonie de prestation de serment. Vexé, Félix Tshisekedi lance en octobre des consultations politiques, puis annonce, début décembre, la fin de la coalition.
La fronde des députés du camp Kabila
Avant cette rupture, le camp présidentiel a préparé le terrain. Car pour se défaire de son allié, Félix Tshisekedi doit trouver de nouveaux soutiens. Des réunions sont organisées dès l’été. Les hommes de confiance du président tentent de convaincre les députés de rejoindre le chef de l’État : « Nous avons ciblé les déçus du FCC », confie un cadre du camp présidentiel.
Dans le camp Kabila, la colère gronde en effet depuis plusieurs mois, certains ne s’y sentent plus à leur place : « Le FCC était aux mains de caciques qui ne voulaient pas voir émerger de nouvelles têtes », lâche le député Patrick Munyomo, qui a depuis rejoint l’Union sacrée. Une figure, notamment, cristallise les colères : celle de la présidente de l’Assemblée nationale, Jeannine Mabunda.
La fronde des députés du camp Kabila aurait pu se limiter à la destitution du bureau de cette dernière le 10 décembre 2020. C’est à ce moment-là que le FCC met en place un « comité de crise » pour tenter de retenir ses troupes. Mais il est déjà trop tard : quelques jours plus tôt, Félix Tshisekedi a brandi la menace d’une dissolution de la chambre basse, s’il n’obtient pas une nouvelle majorité. Cette annonce crée un vent de panique, beaucoup craignent de perdre leur place : « Psychologiquement, ça a joué », reconnaît le député Nsingi Pululu, tout en assurant que « l’adhésion à l’Union sacrée a surtout à voir avec la vision du chef de l’État. »
Après le bâton, le camp présidentiel utilise la carotte. Jean-Marc Kabund, le président par intérim de l’UDPS, le parti présidentiel, promet publiquement de « veiller aux intérêts de ceux qui viennent du FCC ». « Beaucoup sont partis par opportunisme, les gens voulaient des postes », constate Marie-Ange Mushobekwa, membre du comité de crise du FCC. Nsingi Pululu tempère : « Je n’ai pas demandé de poste, mais j’espère en avoir un. »
Des accusations de corruption
Dans ce grand mercato politique émergent des soupçons de corruption : chaque camp accuse l’autre d’ « acheter » les élus à coups de milliers de dollars et de voitures 4×4. « C’est une réalité, mais moi, j’ai refusé », glisse un transfuge du FCC. « On essaie de salir l’Union sacrée ! » s’indigne un autre. Un cadre du camp présidentiel concède : « Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu un seul billet qui a circulé, mais nous n’avons pas donné de l’argent pour acheter les consciences. »
Face à l’éclatement de sa famille politique, Joseph Kabila est resté silencieux, comme à son habitude, semblant presque indifférent à la défaite de son propre camp. Depuis la destitution de Jeannine Mabunda, il vit retranché dans sa ferme de Kashamata, dans la province du Katanga, loin des remous politiques de Kinshasa. Lors de ses rencontres avec Félix Tshisekedi, il avait pourtant averti que l’Assemblée nationale constituait une ligne rouge à ne pas franchir. « Il a vite compris qu’il n’avait pas, pour l’instant, les moyens de réagir, » explique Trésor Kibangula du GEC.
D’autant que tout n’est pas perdu pour l’ancien président. Avec sa famille, il est à la tête d’un réseau de plus de 80 entreprises, présentes dans presque tous les secteurs de l’économie. La plus grande société minière du pays, la Gécamines, principal contributeur au budget de l’État, est également dirigée par un de ses fidèles lieutenants, Albert Yuma, qui est aussi le président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC) depuis 2004.
Dans l’armée et les renseignements, Joseph Kabila conserve aussi de très nombreux relais : « le processus de ‘dékabilisation’ de la RDC va prendre du temps, analyse Trésor Kibangula. Félix Tshisekedi commence à avoir des soutiens au sein des forces de sécurité, mais c’est encore très peu par rapport à son prédécesseur. »
Avec un peu plus de cent députés restés fidèles à l’ancien président, le FCC devient aussi la première force d’opposition. Au point d’envisager, peut-être, un retour aux affaires : « Joseph Kabila n’a pas arrêté la politique, assure Alain Atundu, porte-parole du mouvement politique. Nous commençons dès maintenant à mettre en place un plan de bataille. »
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