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Mario Draghi, le pari politique de l’Italie

Mario Draghi, au palais présidentiel du Quirinale, à Rome, pour discuter avec le président italien, Sergio Mattarella, le 3 février 2021. Mario Draghi, au palais présidentiel du Quirinale, à Rome, pour discuter avec le président italien, Sergio Mattarella, le 3 février 2021.

Editorial du « Monde ». Dans le mouvement de reconfiguration politique permanent que vit l’Italie depuis la fin des années Berlusconi, il n’est plus permis de s’étonner de grand-chose. Pourtant, personne n’aurait imaginé que Mario Draghi, ancien gouverneur de la Banque d’Italie (2006-2011) et président de la Banque centrale européenne (2011-2019), puisse un jour discuter de la formation du prochain gouvernement avec l’humoriste et fondateur du Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystème) Beppe Grillo, grand contempteur de toutes les élites. Cette rencontre improbable, samedi 6 février, devait permettre de tourner la page de l’échec du gouvernement de coalition de Giuseppe Conte.

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Il pourrait être séduisant de présenter ces deux hommes, sensiblement du même âge (73 ans pour Draghi, 72 pour Grillo), comme une sorte de Janus bifrons, les deux visages inverses d’un même besoin, celui d’inventer des formes nouvelles pour dépasser le marasme né de la faillite des forces politiques traditionnelles.

L’ascension de Beppe Grillo, au début des années 2010, s’est nourrie du rejet de la démocratie représentative, et plus largement des élites de toute sorte, forcément corrompues. En jouant sur ces thèmes, le Mouvement 5 étoiles a raflé plus du tiers des sièges à la Chambre des députés et au Sénat, lors des législatives de 2018. Mais, une fois cette percée réussie, la formation a surtout démontré une absolue plasticité, lui permettant de traiter successivement avec l’extrême droite, la gauche, puis le centre, dans le seul but de rester au pouvoir.

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Mario Draghi, lui, est l’incarnation d’un autre archétype italien : le « technicien » de haut niveau, novice en politique et foncièrement honnête, auquel les politiciens italiens confient le pouvoir pour arbitrer leurs querelles stériles. En cela, Mario Draghi serait l’héritier de dirigeants comme Carlo Azeglio Ciampi, ex-président de la République (1999-2006), ou Mario Monti, ancien président du conseil des ministres (2011-2013), qui, durant le quart de siècle écoulé, sont arrivés aux affaires dans un contexte dramatique pour le pays, afin de lui rendre un peu de crédit auprès des marchés financiers.

Moment crucial

Les compétences techniques de l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE) sont indéniables, et elles peuvent être utiles au moment où les 209 milliards d’euros du plan de relance européen offrent au pays une occasion historique de corriger certaines de ses faiblesses. Mais elles n’expliquent pas à elles seules que le président Mattarella décide de sortir Mario Draghi de sa retraite, à ce moment crucial.

En effet, il n’y a ni tempête sur les marchés ni crise de confiance à l’horizon de la part des créanciers de l’Italie, et la remise en ordre des finances publiques est loin d’être la priorité du moment. Non, la crise qui a amené Mario Draghi aux affaires était avant tout politique et, si celui-ci est apparu comme un recours, c’est en vertu des qualités politiques dont il a fait preuve dans son action à la tête des instances qu’il a dirigées, notamment à la BCE, lorsqu’il s’est agi de sauver l’euro en 2011.

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S’il voit le jour, le gouvernement Draghi ne sera pas technique au sens strict. Il sera sans doute aussi dirigé de façon très politique. Là se situe sans doute la meilleure nouvelle pour l’Italie et pour l’Europe, la conduite des affaires publiques ne pouvant pas durablement se résumer à un jeu de balancier entre, d’un côté, les forces antisystème et, de l’autre, un courant technocrate sans légitimité démocratique.

Le Monde

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