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Racisme au Japon : un policier japonais pris en flagrant délit de contrôle au faciès

Le 27 janvier, deux officiers de police japonais ont interpellé Alonzo Omotegawa dans la gare de Tokyo. Le jeune professeur d’anglais, citoyen japonais métisse, a filmé l’incident qui met selon lui en lumière le « racisme poli » qui caractérise la société japonaise. Sa vidéo a largement circulé sur Twitter, relançant la discussion sur cette thématique, taboue et méconnue. 

Ces derniers mois, le Japon est régulièrement confronté à des débats de société sur le racisme que subissent les minorités dans le pays. À la mi-décembre, le géant des cosmétiques DHC s’est retrouvé au cœur d’un scandale quand son PDG a tenu des propos visant les Coréens. Quelques semaines plus tôt, Nike Japon commençait la diffusion d’un spot publicitaire mettant en lumière les difficultés rencontrées par les étrangers et les Japonais d’origine étrangère dans la vie de tous les jours. 

« Je veux des cheveux lisses et soyeux », peut-on lire sur cette affiche publicitaire photographiée en février 2020. Elle vante les mérites de produits capillaires tout en montrant une femme noire aux cheveux crépus. L’entreprise en question a été vivement critiquée pour ce visuel jugé raciste et a annoncé l’avoir retiré

Poussés par le mouvement Black Lives Matter venu des États-Unis et le succès rencontré par la tenniswoman Naomi Osaka, championne internationale métisse de 23 ans, des collectifs d’activistes noirs et métisses se sont formés pour briser le tabou du racisme à la japonaise. 

« C’était mon troisième contrôle en six mois » 

Alonzo Omotegawa
Alonzo Omotegawa

Professeur d’anglais

Tokyo, Japon

Dans le sillon de ce mouvement, Alonzo Omotegawa, jeune professeur d’anglais, a décidé de sortir son téléphone le 27 janvier et de filmer un énième contrôle policier dont il était victime, motivé selon lui par des préjugés racistes. Il est revenu pour la rédaction des Observateurs de France 24 sur cet incident :

J’étais en train de faire un changement à la gare de Tokyo pour rentrer chez moi après le travail. C’est une station bondée [245 millions de voyageurs y transitent chaque année, NDLR] et j’étais donc sur mes gardes en cette période de pandémie. À un moment, j’ai senti qu’une personne s’approchait de moi, j’ai donc essayé de m’éloigner par réflexe. Il s’est avéré que c’était un policier. Il m’a demandé mes papiers et a voulu fouiller mon sac. 

C’était mon troisième contrôle en l’espace de six mois, depuis que j’ai coiffé mes cheveux en dreadlocks. Avant cela je n’avais été contrôlé qu’une seule fois, quand j’étais au collège. Je suis convaincu que les policiers associent ma couleur de peau et mes cheveux à la criminalité. C’est pour ça que j’ai sorti mon téléphone pour filmer, pour que tout le monde puisse voir leur comportement. 

Quand j’ai insisté pour connaître le motif du contrôle, le policier a avoué que mon apparence avait influencé sa décision. 

À la treizième seconde, le policier affirme que, selon son expérience, « les personnes portant des habits à la mode et des dreadlocks ont tendance à transporter des drogues ». 

La vidéo, publiée le jour de l’incident sur le compte Twitter de l’association Japan for Black Lives, a récolté 243 000 vues au 3 février et a été retweetée 4 300 fois.

Alonzo Omotegawa poursuit :

Pour moi, il n’y a pas d’autre explication à ce contrôle que les préjugés racistes de cet officier. Ces préjugés existent dans toute la société japonaise et j’en ai fait les frais depuis mon enfance, essuyant toutes sortes de remarques à l’école notamment. C’est un problème dont les Japonais n’ont pas conscience. Quand j’ai raconté à mes grands-parents japonais ce qui m’était arrivé, ils étaient choqués et n’ont pas compris pourquoi. Ça montre bien qu’ils ne sont pas du tout sensibilisés au problème.

« La peur de me faire expulser ne me quitte jamais »

Terry Wright
Terry Wright

Artiste et activiste

Tokyo, Japon

Terry Wright, artiste et activiste américain installé au Japon depuis 10 ans, raconte qu’il est, lui aussi, régulièrement confronté à des policiers racistes. 

Beaucoup de Japonais sont convaincus que le racisme n’existe pas dans ce pays. Mais c’est faux. Bien sûr, la situation n’est pas la même qu’aux États-Unis où une confrontation avec la police peut s’avérer mortelle, notamment pour les Noirs. Mais il y a une vraie peur, surtout pour les étrangers comme moi. Je ne l’ai pas filmé, mais des policiers ont déjà admis me contrôler uniquement en raison de ma couleur de peau. 

Une fois arrêté, le taux de condamnation est de 99 %. J’ai fondé une famille ici, avec ma femme et mes enfants et la peur de me faire expulser ne me quitte jamais parce que je sais que les Noirs sont particulièrement visés par le police. Je ne sors jamais sans mes papiers, même pour une petite course à la supérette en bas de chez moi. 

Sur Twitter, cet internaute dénonce les arrestations à répétition dont il dit être victime, notamment en raison de sa couleur de peau. 

Pour Baye McNeil, éditorialiste américain installé au Japon depuis 16 ans et spécialiste de ces questions, si les discriminations envers les étrangers sont bien illégales, aucune sanction n’est prévue dans la loi japonaise. « Cette situation permet par exemple à de nombreux propriétaires de refuser systématiquement les étrangers sans être inquiétés », précise-t-il. 

« Si j’avais un problème un jour, je n’irais pas porter plainte » 

Alyse Sugahara
Alyse Sugahara

Alyse Sugahara, traductrice indépendante résidant au Japon depuis 10 ans, estime que cette peur est justifiée par le traitement inégal réservé aux étrangers en cas de contact avec la police. 

 

Quand un étranger se retrouve dans une situation impliquant la police et un Japonais, comme un accident de vélo ou autre, il sera quasi systématiquement accusé de tous les torts et ne sera pas cru. Si je devais un jour avoir un problème avec un Japonais, je ne pense pas que j’irais porter plainte parce que je sais que les policiers ne seront jamais de mon côté. 

Le problème c’est que très peu de gens au Japon dénoncent ces pratiques. La plupart des gens diront que c’est justifié, que c’est même peut-être grâce à cela que le taux de criminalité est très bas ici. 

 

Cet internaute japonais d’origine pakistanaise dénonce dans ce tweet les très fréquents contrôles d’identité qu’il subit en raison de son apparence. 

Le Japon se classe parmi les pays au plus faible taux de criminalité au monde, avec par exemple un nombre d’homicides pour 100 000 habitants de 0,2, contre 1,3 en France, 1 en Allemagne et 5,3 aux États-Unis en 2017.

Selon Alyse Sugahara, ce racisme est également très présent dans la culture japonaise :

Dans le cadre du mouvement Black Lives Matter que nous avons créé dans la région du Kansai (centre, autour des villes d’Osaka et Kyoto), j’ai pu recenser plusieurs clichés popularisés dans les films, à la télévision et dans la culture populaire. 

« Arrêtez de publier et de vendre le livre raciste « Petit Sambo noir » au Japon », réclame cette internaute japonaise qui appelle à signer une pétition en ce sens. 

Il y a par exemple un livre pour enfants qui montre le personnage noir Sambo, caricatural et offensant, et une culture du « blackface » qui perdure. Des groupes de fans de hip-hop ou de RnB se griment ainsi le visage en noir pour « rendre hommage » à la culture noire et à leurs musiciens préférés ». 

En 2017, Baye McNeil alertait sur un cas de « blackface » diffusé à heure de grande audience à la télévision japonaise. 

En juin 2020, la télévision nationale japonaise NHK a diffusé un dessin animé revenant sur les manifestations du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, à la suite de la mort de George Floyd. On y voit des manifestants noirs caricaturés en émeutiers à la musculature importante, voleurs, mettant le feu à des voitures et dénonçant les inégalités économiques. Aucune référence n’est faite aux circonstances de la mort de George Floyd, tué sous le genou d’un policier. 

Suite au scandale suscité par ce clip et la condamnation de l’ambassadeur américain au Japon, le clip a été retiré. 

Source

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