Le rapport annuel de Transparency International, publié jeudi, souligne à quel point la pandémie de Covid-19 a facilité la corruption dans le monde. Et comment cette dernière risque d’aggraver la crise sanitaire.
Corruption et pandémie font bon ménage. C’est ce qui ressort du rapport annuel de Transparency International sur le sentiment de corruption dans le monde, paru jeudi 28 janvier.
« Non seulement la plupart des pays ont fait peu de progrès dans la lutte contre la corruption, mais plus de deux tiers des États étudiés ont un score de moins de 50 points », assurent les auteurs de ce rapport. L’indice annuel de Transparency International est représenté par une échelle de 1 à 100 et plus le score d’un pays est bas, plus il est perçu comme corrompu du point de vue d’institutions internationales et d’acteurs du secteur privé. Ce classement compile en effet les données relatives à la corruption de 13 institutions telles que la Banque mondiale, le Forum économique mondial ou encore Global Insight, un cabinet international de prévisions économiques.
Comme un ouragan
Et si 2020 a été une mauvaise année pour la lutte contre la corruption, c’est en grande partie à cause du coronavirus. « Le Covid-19 n’est pas seulement une crise sur le plan sanitaire et économique, mais également une crise sur le plan de la corruption. Et nous avons échoué à y faire face », a déclaré Delia Ferreira Rubio, directrice de Transparency International.
La pandémie nourrit la corruption, qui le lui rend bien. « Nous avons constaté que la crise sanitaire met davantage de pression sur les institutions, qui sont ainsi moins à même de lutter efficacement contre les actes de corruption », résume Roberto Kukutschka, l’un des auteurs du rapport 2020 de Transparency International, contacté par France 24.
La logique est claire, d’après lui : les États doivent focaliser leurs efforts pour répondre rapidement à une situation d’urgence, ce qui ouvre des opportunités pour les corrupteurs de profiter de la crise. « Les institutions ont moins le temps d’effectuer les contrôles nécessaires pour éviter ces dérives », souligne Roberto Kukutschka.
C’est la même rengaine à chaque catastrophe ou crise. En ce sens, « la pandémie actuelle entre dans la même catégorie que les ouragans ou les tremblements de terre pour ce qui est de l’impact sur la corruption », confirme le spécialiste de Transparency International. C’est un domaine qui a déjà fait l’objet de nombreuses études, et l’une d’entre elle, publiée en 2014, concluait que des catastrophes comme le passage de l’ouragan Katrina aux États-Unis en 2005 ou le séisme de 2011 au Japon avait entraîné une forte hausse de la corruption. Elle constatait même que les régions habituées aux catastrophes naturelles avaient un niveau de corruption plus élevé en général. Elles semblent agir comme des aimants à corrupteurs…
Mais la crise sanitaire actuelle ressort du lot car elle est sans précédent dans l’histoire moderne. Les décideurs politiques ne peuvent donc pas s’appuyer sur des plans d’action qui ont déjà fait leurs preuves, comme ce peut être le cas lors d’un tremblement de terre, par exemple. Cette obligation de trouver la bonne parade face à une menace nouvelle distrait encore plus l’attention des autorités, « ce qui laisse davantage le champ libre à la corruption », constate Roberto Kukutschka.
Les pays vulnérables les plus touchés
Cet effet accélérateur de corruption du Covid-19 a été particulièrement frappant dans les pays où le mal était déjà bien ancré, notent les auteurs du rapport. En Amérique du Sud, le Centre américain pour la justice internationale Cyrus R. Vance a constaté que des soupçons de corruption pesaient sur l’attribution des marchés publics dans le cadre des programmes de lutte contre la pandémie dans 12 pays. En Somalie, le pays le moins bien noté par Transparency International, quatre membres du gouvernement ont été reconnus coupables, en août, d’avoir détourné des fonds destinés à financer le plan national anti-Covid-19.
Pour ces pays très vulnérables, le lien entre corruption et Covid-19 est un véritable cercle vicieux. La pandémie favorise certaines dérives qui, en retour, amplifient les effets de la crise sanitaire. Dans ce contexte, « la corruption tue », résume Nadège Buquet, déléguée générale de Transparency International en France, contactée par France 24. Le secteur sanitaire est, en effet, celui qui est le plus affecté par la hausse de la corruption, souligne le rapport de Transparency International.
L’accès au soin nécessite, parfois, de payer des pots-de-vin. Ainsi, au Kenya un hôpital forçait les patients à acheter des masques protecteurs avant de pouvoir obtenir une consultation. Certains fournisseurs peu scrupuleux ont cherché à surfacturer du matériel médical ce qui peut ralentir leur livraison à des hôpitaux qui en ont besoin. Dans ces conditions « la corruption est devenu un obstacle supplémentaire dans la lutte contre le virus », note Roberto Kukutschka.
L’impact en France « est réel »
Les pays les mieux notés par Transparency International ne sont, pour autant, pas immunisés contre le virus de la corruption en temps de crise sanitaire. La France, par exemple, occupe une honorable 23e place au classement de l’ONG, ce qui n’empêche pas « l’impact de la crise sanitaire sur la corruption d’être réel », affirme Nadège Buquet.
« On a, par exemple, constaté l’apparition d’intermédiaires mal intentionnés qui ont cherché à profiter de la situation en détournant des masques ou du matériel sanitaire », assure-t-elle.
Surtout, la crise sanitaire fragilise les garde-fous en place en France contre la corruption. Transparency International France regrette ainsi un climat d’urgence qui favorise l’opacité de la prise de décision. « La dissolution, mercredi, de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le Covid-19 réduit, par exemple, les espaces de débat où l’exécutif doit rendre des comptes de son action », note l’organisation.
Le gouvernement a aussi tendance, au nom de l’impératif de vitesse, d’assouplir des règles concernant l’attribution de marchés publics. Le risque est qu’il « soit tenté de pérenniser ces procédures d’urgence », avertit Nadège Buquet.
Des dangers qui ne sont pas, comme dans les pays les plus vulnérables, des questions de vie ou de mort. Mais ce sont autant de décisions qui ouvrent la porte à de potentiels abus. Pour les pays qui, comme la France, ne sont pas dans les tréfonds du classement de Transparency International, l’effet de la crise sanitaire est peut-être plus insidieux en ce qu’il place ces nations sur des pentes très glissantes.
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