Les responsables palestiniens, impatients de tourner la page Donald Trump, s’attendent à un rééquilibrage de la diplomatie américaine dans la région avec l’arrivée de Joe Biden au pouvoir. Les premières annonces de la Maison Blanche ont été saluées en Cisjordanie, même si certains se disent pessimistes quant à la reprise des négociations de paix avec Israël.
Comme il l’avait annoncé pendant la campagne présidentielle, Joe Biden, désormais installé à la Maison Blanche depuis une dizaine de jours, multiplie les messages visant à renouer le contact avec les Palestiniens, qui avaient coupé les ponts avec son prédécesseur.
Donald Trump était accusé d’avoir calqué la diplomatie américaine sur l’agenda du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, en reconnaissant Jérusalem comme capitale de l’État hébreu, et légitimant la colonisation en Cisjordanie.
Les responsables palestiniens, qui s’attendaient logiquement à un rééquilibrage de la diplomatie américaine dans la région, ont salué, mercredi 27 janvier, l’intention de la nouvelle administration de rouvrir les bureaux de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Washington, fermés sous Donald Trump, à l’instar du consulat général américain à Jérusalem-Est qui faisait office d’ambassade auprès des Palestiniens.
Ces derniers jours, plusieurs responsables basés en Cisjordanie s’étaient montrés optimistes dans la presse locale, confiant que l’Autorité palestinienne avait reçu des « assurances » que Joe Biden reviendrait sur certaines des décisions relatives au conflit israélo-palestinien.
Attachement à la solution à deux États
« La nouvelle administration américaine veut se distancier des nombreuses décisions prises par le président Trump, qu’elle considère comme néfastes pour les intérêts des États-Unis dans la région, analyse Khalil Jahshan, directeur exécutif du think tank Arab Center Washington DC, contacté par France 24. Et cela passe assurément, comme l’a laissé entendre le camp Biden, par des réajustements diplomatiques qui auront un impact sur le long terme, visant notamment à restaurer le dialogue avec les Palestiniens, et paver la voie à une reprise des négociations autour du dossier israélo-palestinien. »
Le message envoyé par la Maison Blanche, suivant lequel le nouveau président des États-Unis restait très attaché à « la solution à deux États » – soit la position classique de la diplomatie américaine avant l’ère Trump –, est également parvenu aux Palestiniens. Cette solution « reste le seul moyen d’aller de l’avant » pour parvenir à un règlement du conflit israélo-palestinien, a déclaré mardi la porte-parole de la Maison blanche, Jen Psaki.
« Le président pense comme moi que la meilleure manière, peut-être la seule manière d’assurer à Israël son avenir en tant qu’État juif démocratique, et de donner aux Palestiniens l’État auquel ils ont droit, c’est la solution dite à deux États », avait pour sa part affirmé, le 19 janvier, celui qui est désormais le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken.
« La réouverture du consulat pour Jérusalem-Est, celle du bureau de l’OLP à Washington et l’engagement à la solution à deux États sont des signes positifs bienvenus », a déclaré à l’AFP Jibril Rajoub, haut cadre du parti Fatah, la formation du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.
Dans le cadre d’un plan de paix, baptisé « deal du siècle » et mis au point par Jared Kushner, gendre et conseiller diplomatique de Donald Trump, Washington a proposé l’an dernier de reconnaître la souveraineté israélienne sur les colonies juives de Cisjordanie, après avoir jugé qu’elles n’étaient pas contraires au droit international. Une démarche qui aurait pu compromettre la création d’un État palestinien continu avec Jérusalem-Est pour capitale.
« Nous espérons que la nouvelle administration brandira un carton rouge face aux mesures unilatérales et expansionnistes israéliennes sur le terrain, (…) qui sapent toute possibilité d’émergence d’un État palestinien indépendant et souverain », a souligné Jibril Rajoub.
Selon Richard Mills, l’ambassadeur américain par intérim auprès de l’ONU, Washington va désormais œuvrer pour convaincre le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne d’ »éviter les mesures unilatérales qui rendent une solution à deux États plus difficile, comme les annexions de territoire, les activités de colonisation, la démolition, l’incitation à la violence et l’indemnisation des personnes emprisonnées pour des actes de terrorisme ».
« Nous espérons qu’il sera possible de (…) développer lentement les compétences des deux côtés pour créer un environnement dans lequel nous pourrons à nouveau être en mesure de contribuer à faire avancer une solution », a-t-il poursuivi.
« Biden ne sera pas le sauveur des Palestiniens »
Toutefois, certaines voix palestiniennes s’élèvent pour tempérer les attentes les plus optimistes sur ce dossier, en rappelant les relations privilégiées qu’entretiennent les États-Unis avec leur allié israélien.
« Il ne fait aucun doute que l’administration Biden adoptera la même politique américaine à l’égard d’Israël [que celle de Donald Trump], même si elle y apportera de légers changements cosmétiques », estime le chercheur Alaa Tartir, dans une tribune publiée par Al-Shabaka, The Palestinian Policy Network, un think tank basé aux États-Unis.
Et d’ajouter : « Biden ne sera pas le sauveur des Palestiniens, ni le bâtisseur de paix, mais il sera probablement le sauveur de ce qui reste du processus de paix (…). Son administration dépensera d’énormes sommes d’argent et beaucoup d’énergie afin de juste la raviver, et non pour parvenir à une forme de paix réelle et durable. »
Des répercussions très attendues sur le terrain
Toujours est-il qu’au-delà des enjeux diplomatiques, le changement survenu à Washington pourrait rapidement avoir des répercussions concrètes sur le terrain. L’ambassadeur américain par intérim auprès de l’ONU, Richard Mills, a ainsi déclaré mardi que « l’administration Biden avait l’intention de rétablir les programmes d’assistance américains qui soutiennent le développement économique et l’aide humanitaire pour le peuple palestinien ».
« Nous nous félicitons de la décision de l’administration Biden de rétablir l’assistance aux Palestiniens et nous attendons avec intérêt de poursuivre le dialogue avec elle sur la reprise de l’aide à l’UNRWA », qui a cessé depuis quatre ans, a déclaré à l’AFP Tamara al-Rifaï, une porte-parole de cette Agence des Nations unies pour l’aide aux réfugiés palestiniens (UNRWA).
Invoquant le « manque de volonté des dirigeants palestiniens pour les négociations de paix » avec Israël, Donald Trump avait retiré les financements américains à cette agence onusienne dont Washington était le plus gros contributeur – avec un montant de 365 millions de dollars (environ 300 millions d’euros), soit près de 30 % de son budget annuel. « Puisque les Palestiniens ne sont plus disposés à parler de paix, pourquoi devrions-nous leur verser des paiements massifs à l’avenir ? », avait-il déclaré en 2018.
« Nos prévisions financières tiennent compte du réengagement attendu de l’administration américaine, nous prévoyons donc un peu plus de revenus qu’en 2020, mais ces revenus légèrement améliorés ne couvriront pas les énormes dettes » de l’UNRWA, a cependant précisé Tamara al-Rifaï.
En novembre, l’agence avait annoncé être à court de liquidités pour payer les salaires de novembre et décembre de ses 28 000 employés, eux-mêmes pour la plupart des réfugiés, offrant des services (éducation, soins de santé) à plus de cinq millions de Palestiniens répartis dans des camps en Jordanie, en Syrie, au Liban et dans les Territoires palestiniens.
Le soutien financier de Washington est crucial pour les Palestiniens et pour l’Autorité palestinienne, présidée par Mahmoud Abbas, tant ils sont fortement dépendants des aides internationales directes, c’est-à-dire en direction des institutions locales, ou indirectes, au bénéfice de la population par l’entremise d’agences onusiennes ou d’ONG. Et ce en raison des restrictions israéliennes et des incertitudes liées à la situation géopolitique de la région qui pèsent sur l’économie palestinienne.
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