Le jour ne s’est pas encore levé à Dalian, dans le nord de la Chine, mercredi 13 janvier, quand des « sourires sont apparus sur tous les visages » des employés du principal dépôt ferroviaire de la ville. Depuis plus de vingt heures, tous les trains de la métropole de 6,7 millions d’habitants sise sur les côtes du golfe de Corée étaient immobilisés à quai. Les techniciens viennent de remettre en marche la toute petite partie de leur réseau informatique, à l’origine du désordre, tombée en panne à la suite d’un événement malheureux : l’arrêt prévu de longue date le 12 janvier du logiciel Adobe Flash Player.
La bataille fut épique, la victoire héroïque : le récit, publié en direct sur les réseaux sociaux chinois Weibo et WeChat, en est mémorable. « Après plus de vingt heures de combat, personne ne s’est plaint, personne n’a abandonné. Nous avons fait de notre espoir le carburant de nos progrès », s’extasie le dernier des seize messages publiés par l’autorité des transports de la ville.
Acteur central du Web des années 2000, souvent moqué pour sa lourdeur et critiqué pour ses failles de sécurité, Flash était utilisé par un programme de gestion des trains de Dalian pour afficher, sur les navigateurs Web de certains techniciens, les horaires et déplacements des rames afin de prévoir des manœuvres d’aiguillages. En l’absence d’accès aux prévisions, tout le trafic a été suspendu : « Le système informatique a cessé d’afficher les pages et en trente minutes tout le dépôt a connu le même problème », note le premier message, publié à 8 h 16 sur les deux plates-formes, dès le 12 janvier.
Dépendance aux logiciels « propriétaires »
La panique apparente des ingénieurs de Dalian a rapidement déclenché l’ire des internautes chinois, au point que la publication a été supprimée. Comment une organisation d’une telle taille peut-elle être paralysée par un logiciel obsolète depuis plusieurs années et dont la disparition avait été annoncée dès 2017 ? L’épisode illustre en tout cas la dépendance de nombreuses administrations aux logiciels dits « propriétaires », dont le code est privé et protégé par le droit d’auteur.
Les cheminots de Dalian n’ont pas péché par archaïsme, comme l’ont rapidement moqué plusieurs commentateurs : c’est en installant de nouveaux ordinateurs, plus récents, qu’a été intégrée dans le réseau une version de Flash comprenant l’interruption programmée – et impossible à contourner – des services le 12 janvier. Le groupe américain Adobe, propriétaire du logiciel, a par ailleurs développé, en prévision de son extinction, un dérivé de son programme spécialement pour la Chine et valable jusqu’en 2023. Seulement, les développeurs originels de l’interface de gestion des trains ont quitté l’entreprise et l’outil n’a pas été maintenu.
Dans des secteurs industriels amenés à fonctionner sans pause pendant de longues durées, les pannes informatiques liées aux difficultés de mises à jour ne sont pas rares : les responsables de l’aéroport de Paris-Orly avaient, par exemple, été forcés de maintenir tous les avions au sol pendant plus d’une demi-heure, en 2015, à cause d’un ordinateur où était installée une version de Windows datant de 1992.
D’anciennes versions installées en urgence
Pour permettre un retour à la normale, les techniciens chinois ont dû installer d’anciennes versions des systèmes d’exploitation et de Flash dans lesquelles l’interruption du logiciel n’avait pas encore été programmée – une pratique amenée à être temporaire puisque interdite par Adobe. C’est ce processus qui a pu « prendre du temps à mettre en place pour des employés qui n’ont pas de larges compétences en informatique », soutient un article de l’agence de presse Do News en prenant la défense de la difficile gestion de crise des autorités de Dalian.
L’apparition d’un tel blocage en Chine, dont le gouvernement investit massivement pour parvenir à une souveraineté technologique dans le numérique, rappelle l’étendue de la diffusion de certains logiciels propriétaires et les conséquences concrètes des choix stratégiques, pris de manière unilatérale, des développeurs de logiciels.
En France, une administration a fait le choix de se passer des outils des leadeurs mondiaux du secteur pour ne pas se soumettre aux mises à jour non désirées : la gendarmerie nationale, qui a développé, dès la fin des années 2000, un système d’exploitation libre, GendBuntu, aujourd’hui installé sur plus de 77 000 de ses ordinateurs.
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