Le « sac à dos » ne va-t-il pas encore s’alourdir ces prochaines années ?
Notre prévision est une stabilisation de la dette d’ici 2022 à 120% du PIB. Car d’un côté, malgré les vaccins qui vont finir par stopper l’épidémie, il y aura la poursuite de certaines dépenses exceptionnelles; mais de l’autre nous devrions connaître un taux de croissance exceptionnellement élevé. La France a déjà réussi pendant l’été 2020, le rebond le plus marqué de toute la zone euro.
Du coup, peut-on aller plus loin ?
Il faut continuer à dépenser pour contrer les effets de la crise, mais à condition que ce soient des dépenses temporaires et réversibles. Et quand nous aurons solidement retrouvé le niveau d’activité pré-Covid, après 2022, il faudra suivre un chemin de désendettement et maitriser pour cela nos dépenses en améliorant leur qualité. Mario Draghi a utilisé l’expression de « bonne dette », une dette qui finance les dépenses tournées vers l’avenir -dont l’investissement clé dans la formation- et qui augmente la croissance potentielle.
Y a-t-il un maximum à l’endettement ?
Il faut que la dette soit soutenable, autrement dit que la signature du pays continue à inspirer confiance à ceux qui nous prêtent, notamment aux investisseurs internationaux. A défaut, un pays perd sa liberté, et sa capacité d’action: regardez l’Argentine, la Grèce, voire ce qui a parfois menacé l’Italie.
Mais n’est-ce pas la Banque centrale qui finance en fin de compte ?
La Banque centrale européenne (BCE) ne peut acheter directement de la dette publique : ce serait un financement monétaire des déficits, ce qu’interdisent les Traités. Mais la Banque centrale peut ensuite racheter une part de cette dette sur le marché secondaire, ce qui fait qu’aujourd’hui, l’Eurosystème – essentiellement la Banque de France – détient le quart de la dette française, soit environ 600 milliards d’euros.
Cette part n’est-elle pas plus importante pour les émissions récentes ?
Elle est effectivement plus significative, car avec une inflation très en dessous de notre objectif de 2% (à -0,3% aujourd’hui), la BCE a le devoir de mettre en place une politique monétaire accommodante. Mais il y a une limite : nous ne pouvons détenir au maximum qu’un certain pourcentage des titres publics – 33 %, assoupli exceptionnellement dans le programme pandémie.
Cette facilité n’incite-t-elle pas les gouvernements à dépenser sans compter ?
C’est seulement face à cette crise exceptionnelle qu’intervient notre réaction exceptionnelle, et c’est seulement au nom de notre mandat de stabilité des prix.
En rachetant en fin de compte la moitié des dettes émises en 2020, ne contribue-t-elle pas à conforter l’idée d’ »argent magique » ?
Par sa définition même, la Banque centrale peut faire de la création monétaire, et il n’y pas de plafond théorique à la taille de son bilan. Mais en pratique il n’y a pas d’ »argent magique » : la création monétaire de la BCE n’est justifiée que pour atteindre son objectif. Si l’inflation redevenait trop élevée et menaçait de remettre en cause la confiance dans la monnaie, nous devrions avec Christine Lagarde réagir dans l’autre sens. La deuxième limite, c’est que cet argent est toujours prêté, et jamais donné. La banque centrale peut donc seulement procurer du temps.
Comment rembourser ?
Il y a trois ingrédients à combiner, à partir de 2023. Le temps, en se donnant une perspective pluriannuelle, par exemple sur dix ans : plus on réagit fort dans l’urgence actuelle, plus il est important de tracer un chemin de confiance pour l’avenir. Ensuite la croissance, grâce aux réformes, notamment pour que son taux reste durablement supérieur aux taux d’intérêt ; mais aussi, enfin, la meilleure maîtrise de nos coûts publics.
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Faut-il cantonner les 200 milliards de « dette Covid » ?
C’est une des composantes « temps » : on peut en effet la rembourser après une certaine durée mais cela n’est qu’une solution très partielle, non suffisante.
Dans une situation exceptionnelle, ne pourrait-on pas imaginer des mesures exceptionnelles, comme une annulation ?
Ce n’est pas compatible avec le pacte fondateur de l’euro, et cela reviendrait donc à envisager de quitter l’euro. Mais si par hypothèse on annulait les près de 600 milliards d’euros de dette française dans le bilan de la Banque de France, cela serait un gain apparent pour les Français, neutralisé immédiatement par une perte équivalente dans les actifs de la Banque de France… qui appartient aux Français. Nous n’aurions donc rien gagné. Aucun pays développé – y compris hors d’Europe – n’envisage cette solution: risquer par là une perte de confiance dans la monnaie, qui est aujourd’hui comme l’air qu’on respire, serait une catastrophe. J’ajoute que la France fait partie des pays qui n’ont jamais fait défaut depuis deux siècles, c’est un atout fort pour notre signature.
Et ceux qui proposent de convertir une partie en « dette perpétuelle » ?
C’est une variante à peine adoucie de l’annulation : il s’agirait de dire à son créancier qu’on ne le remboursera jamais.
La situation actuelle ne ressemble-t-elle pas à une dette perpétuelle qui ne dit pas son nom ?
Non, parce que la Banque centrale est libre de refinancer cette dette, ou pas. Une dette doit toujours être remboursable, elle peut être refinancée mais ce n’est jamais automatique. Ne risquons pas l’avenir de notre pays sur la fiction que les mesures exceptionnelles dureront même longtemps après que la crise du Covid aura disparu, que l’inflation restera toujours trop faible et que les taux très bas sont éternels. Travaillons plutôt sur le réel : notre modèle social est un atout, j’y crois, mais il nous coûte trop cher par rapport à nos voisins européens, jusqu’à 10 % de PIB de différence ! Améliorer l’efficacité de nos services publics et mieux combattre les inégalités y compris dans l’éducation, c’est possible et c’est un beau programme pour la décennie à venir.
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