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C’est un enfer que les habitants du Darfour, cette vaste région de l’ouest du Soudan, connaissent trop bien. Entre le 16 et le 19 janvier, près des villes de Geneina et de Nyala, des attaques contre des camps de déplacés et des villages ont fait plus de 200 morts et 100 000 déplacés.
Des violences qui ont éclaté à peine deux semaines après le retrait de la mission conjointe de l’Union africaine (UA) et des Nations unies pour le maintien de la paix et de protection des civils au Darfour, l’Unamid. Son mandat a pris fin le 31 décembre 2020.
Une nouvelle mission de l’ONU est en cours d’installation à Khartoum. Mais celle-ci vise uniquement à accompagner la transition au Soudan où un gouvernement intérimaire a été formé en juillet 2019, composé de civils et de militaires, suite au renversement du dictateur Omar Al-Bachir par l’armée, après des mois de révolte populaire.
La signature d’un accord de paix, en octobre 2020, entre ce gouvernement de transition et certains groupes rebelles soudanais a, semble-t-il, fait pencher le Conseil de sécurité en faveur du retrait des casques bleus du Darfour. Le Conseil avait tenu à « féliciter le Soudan et son peuple pour cette réussite historique, une occasion importante pour une paix globale et durable ».
« Un vide sécuritaire »
L’accord de Juba prévoit la formation d’une force de protection des civils de 12 000 hommes, composée à égalité de troupes rebelles et gouvernementales, mais elle n’est pas opérationnelle. Quant au nouveau gouvernement censé incorporer les dirigeants rebelles rentrés à Khartoum, il n’est toujours pas formé. Dans une résolution votée à l’unanimité le 22 décembre 2020, l’ONU a tout de même mis un terme à sa mission de maintien de la paix au Darfour, incitant « le gouvernement du Soudan à protéger les civils ».
L’Unamid avait été établie en 2007 pour endiguer le conflit démarré quatre ans plus tôt, opposant des membres de minorités ethniques du Darfour qui s’estimaient marginalisées au gouvernement soudanais et à ses milices armées, recrutées parmi les populations arabes et connues sous le nom de janjawids.
La Cour pénale internationale avait ouvert une enquête en 2005 et inculpé Omar Al-Bachir et quatre autres responsables soudanais pour « génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité ». Cette guerre civile a fait plus de 300 000 morts et 2,5 millions déplacés et ne s’est jamais complètement terminée.
Ainsi, le 9 décembre 2020, l’organisation Amnesty International déclarait « craindre » qu’en cas de retrait de l’Unamid « un vide sécuritaire ne voie le jour avec des conséquences désastreuses pour les populations du Darfour ». Dès avril, une coalition d’organisations de la société civile avait exhorté le premier ministre Abdallah Hamdok à réclamer le maintien d’une mission de l’ONU dotée d’un mandat de protection des civils et des manifestations d’opposition au départ des casques bleus ont eu lieu ces derniers mois dans les camps de déplacés de la région.
Attaques de janjawids
De fait, les changements politiques à Khartoum, tout comme la signature de l’accord de Juba, n’ont eu aucun impact au Darfour, où les déplacés vivent toujours dans la peur des violences. « Personne n’est venu nous consulter », déplore Abdu Ishag Haroun, cultivateur de 33 ans, depuis Geneina, la capitale du Darfour-Occidental, après avoir fui le camp de Krinding, réduit en cendres lors des attaques des 16 et 17 janvier par ceux qu’il identifie comme des janjawids.
« Nous n’étions pas d’accord avec ce gouvernement pour qu’il dise aux Nations unies de quitter le Darfour », déclare quant à lui Sherif Suleiman Ahmad, un représentant des jeunes du camp d’Al-Salam, près de Nyala, où des attaques ont eu lieu les jours suivant celles de Geneina, tuant au moins 60 personnes. « Ce gouvernement ne nous protégera jamais. Nous voulons que l’Unamid revienne », réclame-t-il.
Témoins et défenseurs des droits humains pointent du doigt l’ambivalence des Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF), une formation paramilitaire créée par Omar Al-Bachir en 2013 qui comprend des milices arabes du Darfour et du Tchad. Dirigée par Mohamed Hamdan Daglo dit « Hemeti », ancien leader janjawid aujourd’hui vice-président du Conseil de souveraineté nationale à Khartoum, cette force est accusée d’avoir activement participé à des agressions contre les civils au Darfour et en d’autres endroits du Soudan, y compris depuis la chute d’Omar Al-Bachir.
La Sudanese Professionals Association (SPA), fer de lance de la révolution populaire de décembre 2018, a réclamé début janvier la dissolution des RSF face à la multiplication des incidents. Au Darfour, Amnesty International avait documenté l’implication de membres des RSF et de l’armée soudanaise dans un massacre au Nord-Darfour en juillet 2020.
Des dizaines de milliers de réfugiés
Les attaques des 16 et 17 janvier près de Geneina, qui ont fait au moins 163 victimes – essentiellement des Massalit, un groupe ethnique non arabe soudanais – auraient sans doute pu être évitées si les forces de sécurité locales, en grande majorité composées des RSF, avaient répondu aux demandes de protection des résidents du camp de Krinding, qui savaient, dès le vendredi 15 janvier, qu’un tel assaut aurait lieu. Ils avaient alerté le gouverneur de l’Etat du Darfour-Occidental, Mohamed Abdallah Al-Douma, qui a averti à son tour les services de sécurité.
Mais, le lendemain, il n’y avait aucun déploiement de forces supplémentaires lorsque des centaines d’attaquants ont forcé l’entrée du camp de Krinding, tuant un policier et en blessant deux autres. Ils se sont livrés à des pillages et des tueries à l’aide de couteaux et d’armes à feu et ont tout brûlé sur leur passage, avant d’aller raser d’autres camps et villages des environs.
Le gouverneur, Mohamed Abdallah Al-Douma, est issu des Forces de la liberté et du changement, une coalition civile qui partage le pouvoir avec les militaires au sein des institutions de transition. En poste depuis cinq mois, il a lui-même fait l’objet d’une tentative d’assassinat le 17 janvier. Les assaillants voulaient « m’envoyer un message, me dire de démissionner », assure-t-il.
Selon lui, 60 000 personnes sont actuellement réfugiées dans les écoles et autres bâtiments publics de la ville de Geneina, quelque 10 000 « aux abords de la ville » et « d’autres sont allées au Tchad ». Des renforts ont commencé à arriver le 23 janvier depuis les Etats régionaux voisins, ramenant un calme précaire dans la ville. Les tensions restaient élevées mardi 26 janvier, avec des membres des ethnies arabes bloquant l’accès à l’aéroport et demandant le départ du gouverneur.
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