Publié le : 27/01/2021 – 17:08
Dix ans après le soulèvement populaire au Yémen, le pays a sombré dans la guerre et fait face à l’une des crises migratoire et humanitaire les plus importantes au monde. Entretien avec Jean-Nicolas Beuze, responsable de l’agence de l’ONU pour les réfugiés (HCR) à Sanaa, qui revient sur ce drame largement ignoré par la communauté internationale.
Le 27 janvier 2011, des milliers de Yéménites battaient le pavé pour réclamer le départ de leur dirigeant autocrate Ali Abdallah Saleh. Dix ans plus tard, la transition démocratique souhaitée par les manifestants reste au point mort. Depuis 2015, le pays s’enfonce dans une guerre meurtrière entre les rebelles houthis, soutenus par l’Iran, et les forces gouvernementales, appuyées par l’Arabie saoudite et sa coalition militaire, soutenue par les États-Unis.
Un conflit qui a coûté la vie à plus de 230 000 personnes, selon l’ONU, et causé un exode massif de population au sein du pays. France 24 fait le point avec Jean-Nicolas Beuze, responsable du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés dans la capitale Sanaa.
Pourquoi l’ONU considère-t-elle aujourd’hui la crise au Yémen comme la pire crise humanitaire au monde ?
Cette évaluation est basée sur le nombre de personnes nécessitant une assistance ainsi que la magnitude des besoins. Vingt millions de Yéménites dépendent aujourd’hui de l’aide humanitaire au quotidien, soit les deux tiers de la population. Un Yéménite sur huit est réfugié dans son propre pays dans des conditions sécuritaires très mauvaises.
Entre 80 et 90 % des denrées alimentaires de base tels que le riz et la farine sont importées. Or, cet acheminement est très fragile car le conflit est actif et plusieurs millions de personnes sont exposées au risque de famine.
L’accès à la santé est très mauvais, 50 % des centres de soins ont été détruits dans les affrontements, avec des risques épidémiques, notamment de choléra. Enfin, l’embargo sur le fuel imposé par la coalition internationale dans le Nord génère d’énormes problèmes logistiques.
Le conflit génère une crise migratoire massive, pourtant peu de Yéménites quittent le pays, comment expliquez-vous cette situation ?
Le Yémen est l’un des pays qui compte aujourd’hui le plus grand nombre de déplacés internes au monde, près de 4 millions. Mais il est presque impossible pour les Yéménites de quitter le pays car leur principale frontière, au Nord, est contrôlée par l’Arabie saoudite, impliquée dans le conflit. Leurs seules options sont de tenter de rejoindre leur autre voisin terrestre, Oman, en traversant une zone désertique en partie contrôlée par Al-Qaïda ou bien de prendre la mer vers la Somalie ou l’Érythrée par le Golfe d’Aden, une route maritime très dangereuse. Il faut savoir que 130 000 Somaliens et Érythréens, qui ont fui la guerre et la dictature, sont déjà réfugiés au Yémen dans des situations d’extrême précarité.
À cela s’ajoute un aspect culturel important : le Yémen est une société tribale où les aînés doivent s’occuper de leur famille et où il est très mal vu d’abandonner ses morts.
Au final, cette situation pose un enjeu sécuritaire énorme avec des millions de personnes contraintes de vivre comme des réfugiés dans leur propre pays, sans stabilité possible car les lignes de conflits évoluent constamment.
Les organisations humanitaires déplorent le manque de médiatisation et d’aide humanitaire pour le Yémen, est-ce lié à la question migratoire ?
Contrairement à d’autres terrains comme la Syrie, l’Afghanistan ou bien la Somalie, la crise migratoire yéménite n’est pas considérée comme une menace pour l’Europe ni même pour la région. Cela explique en partie le manque de médiatisation et la difficulté à mobiliser des fonds.
L’acheminement de l’aide est également très compliqué : il faut faire une demande pour chaque opération, tout est contrôlé par les autorités et certains bailleurs craignent que leur argent ne soit détourné pour financer des entreprises terroristes.
Enfin la complexité du conflit et l’implication de l’Arabie saoudite, qui a des accords commerciaux avec la plupart des grandes puissances, expliquent aussi en partie la faible mobilisation de la communauté internationale.
Le financement humanitaire ne permet aujourd’hui de répondre qu’à 60 % des besoins. On ne parle pas ici de reconstruire des logements ou des fermes mais de besoins d’urgence : un toit pour la nuit et la survie alimentaire. Le premier financement de cette aide vient de l’Arabie saoudite, qui est à la fois bailleur de fonds et acteur du conflit.
En 2011, un mouvement citoyen a émergé pour faire chuter le pouvoir hégémonique du président Ali Abdallah Saleh. Dix ans plus tard, alors que la situation s’est considérablement détériorée, que reste-t-il des aspirations des citoyens ?
Dans la situation actuelle, la priorité de la plupart des Yéménites est la survie quotidienne. Les gens ont peu d’espoir qu’une solution politique permette de résoudre le conflit. Bien sûr, le changement d’administration aux États-Unis pourrait jouer un rôle important car Joe Biden est bien moins favorable au régime saoudien que ne l’était Donald Trump. Mais même si l’engagement militaire étranger évolue, le conflit interne pour le contrôle des ressources pétrolières et les luttes tribales demeurent.
Aujourd’hui, la résolution politique est dans l’impasse et la guerre continue. Nous sommes engagés dans une course contre la montre, notamment pour réduire au maximum les effets de la malnutrition, qui a des effets dévastateurs sur les enfants et risque d’affecter durablement la population yéménite. Notre priorité n’est pas d’améliorer la vie des citoyens mais de leur maintenir la tête hors de l’eau pour empêcher la noyade.
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