Analyse. Interrogé après l’arrestation d’Alexeï Navalny, le 17 janvier, et le rocambolesque déroutage de son avion, Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, haussait les sourcils : « Pardon ? Navalny a été arrêté… en Allemagne ! ? Je ne suis pas au courant… » La réponse, livrée comme une performance de stand-up, n’a rien à voir avec les habituels démentis compassés du porte-parole. Le message est clair : le sort du principal opposant russe, empoisonné cinq mois plus tôt, ne mérite guère plus qu’un sarcasme.
Au même moment, à l’aéroport de Vnoukovo, où M. Navalny était initialement attendu, ses partisans sont maintenus hors du terminal par la police, certains arrêtés. A l’inverse, des « fans » d’une vedette de la télé-réalité, dont certains reconnaissent qu’ils ont été payés, sont autorisés à y manifester bruyamment. L’objectif est le même : la réception de l’opposant ne peut pas être un moment historique, ni même digne, mais seulement une farce.
Le ricanement et le trolling se sont depuis longtemps échappés des réseaux sociaux pour investir la « vraie vie ». La scène politique russe a toujours eu ses clowns. Et l’arme principale, face aux contestations, reste la répression et son corollaire, la peur.
Mais il est ici question d’autre chose : d’une stratégie délibérée de l’Etat russe pour jeter le discrédit sur tout discours dérangeant, d’une façon d’utiliser le ricanement comme instrument d’effacement des faits au moins aussi efficace que la censure.
La farce permanente
La Russie fut un précurseur de la « post-vérité », un concept qui allait trouver sa reconnaissance lorsque la Maison Blanche commencerait à parler de « faits alternatifs ». En 2014, Peter Pomerantsev, excellent connaisseur de la Russie poutinienne, résumait de manière limpide, en titre de son essai, cette stratégie d’effacement de la réalité : Rien n’est vrai tout est possible.
Le pouvoir russe a poussé plus loin le concept, offrant à la post-vérité un nouvel avatar – la farce permanente. L’affaire Navalny en est une illustration : « Rien n’est vrai, ou même important, puisque tout est une blague », pourrait-on paraphraser. M. Pomerantsev concluait que l’idée même de vérité s’efface devant la confusion. Aujourd’hui, l’idée même de vérité devient une plaisanterie.
Notons l’évolution. En 2014, après qu’un avion de ligne – le MH17 – eut été abattu par un missile russe au-dessus de l’Ukraine, médias et responsables russes avaient noyé cette vérité dérangeante sous de multiples « versions alternatives ». Certaines d’entre elles étaient absurdes ou se contredisaient. Dans le cas Navalny, le point de départ est différent : l’absurdité est un objectif en soi. Il ne s’agit plus de noyer l’événement sous les inventions, mais de le discréditer dans son ensemble, de nier sa signification.
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