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Victime de l’agent orange, une Franco-Vietnamienne se bat contre les géants de l’agrochimie

Après six ans de procédure, un procès historique s’est ouvert, lundi, en France. Il oppose Tran To Nga, une Franco-Vietnamienne de 78 ans, à 14 multinationales, dont Monsanto et Dow Chemicals, qui ont fabriqué et commercialisé l’agent orange. Répandu par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam, cet herbicide a empoisonné plusieurs millions de personnes et continue aujourd’hui d’avoir des répercussions sanitaires et environnementales.

Tran To Nga n’est pas près d’oublier ce jour de 1966. À l’époque, elle a 22 ans et fait partie du mouvement indépendantiste du Nord Viêt Nam qui lutte contre la partie Sud, soutenue par les Américains. 

« C’était lors d’une mission près de Saïgon, se souvient l’ancienne correspondante de guerre auprès du Huffington Post. Un jour, j’ai entendu le bruit d’un avion qui circulait et faisait des épandages. Nous étions dans des abris souterrains. Je suis montée et c’est là que j’ai reçu le poison ».

Ce poison, c’est l’agent orange. Un puissant herbicide contenant de la dioxine massivement utilisé pendant la guerre du Vietnam, à partir de 1961, par l’armée américaine.

On estime que plus de 84 millions de litres d’agent orange ont été épandus en dix ans sur ce territoire pour annihiler la végétation qui servait de camouflage aux combattants du Viêt-cong (nom donné au Vietnam du Sud pendant la guerre) et empêcher leur progression.

Exposée pendant plusieurs années, Tran To Nga souffre de diverses maladies typiques d’une contamination par la dioxine : un diabète de type 2 avec une allergie à l’insuline rarissime. Elle a contracté deux tuberculoses et a été atteinte d’un cancer.  

Selon des ONG, quatre millions de personnes — civils vietnamiens, militaires américains, combattants du Viêt-cong — ont été directement exposées à ce poison.

Un avion de l'US Air Force participe à un épandage d'agent orange pendant la guerre du Viêt Nam, le 3 mars 1967.
Un avion de l'US Air Force participe à un épandage d'agent orange pendant la guerre du Viêt Nam, le 3 mars 1967.
Un avion de l’US Air Force participe à un épandage d’agent orange pendant la guerre du Viêt Nam, le 3 mars 1967. © AFP

Le procès d’un crime de guerre

Depuis plus de 10 ans, Tran To Nga se bat au nom de toutes ces victimes. En 2014, elle a déposé plainte auprès du tribunal d’Évry contre plusieurs multinationales de l’agrochimie dont Monsanto et Dow Chemicals, qui ont contribué à fabriquer l’agent orange.

Cette plainte en France a été rendue possible par un vote du Parlement français qui a restauré, en 2013, la compétence du juge français en matière de droit international. Depuis cette date, une victime de nationalité française peut poursuivre un tiers étranger pour un crime de guerre, génocide, crime contre l’Humanité, commis en dehors du territoire national.

Initialement prévue en octobre dernier, l’audience des plaidoiries s’est ouverte lundi 25 janvier après six ans de procédure. 

Pour gagner son procès, Tran To Nga devra notamment convaincre les juges d’un lien entre les épandages dont elle été victime et les maladies dont elles souffrent et celles dont souffrent sa famille. Elle a perdu sa première fille, née avec une malformation cardiaque. Sa deuxième fille en souffre également. 

De nombreuses études scientifiques ont montré que les effets de la dioxine se transmettent sur plusieurs générations.

Sollicité par l’AFP, Bayer-Monsanto minimise sa responsabilité et explique que l’agent orange avait « été fabriqué sous la seule direction du gouvernement américain à des fins exclusivement militaires ».

Tran To Nga et ses conseils assurent au contraire que l’État américain a été dupé par ces firmes sur la toxicité de l’agent orange, un nom qu’il doit aux bandes de couleur orange peintes sur les barils dans lesquels il était stocké.

David contre Goliath

Face à la plaignante et ses trois avocats, c’est une armée qui a été mobilisée par les grandes firmes chimiques américaines : près d’une quarantaine de juristes, adeptes des méandres de la procédure.

L’enjeu est colossal pour ces entreprises qui veulent à tout prix éviter une condamnation qui pourrait déclencher d’autres initiatives. 

« Avec le procès en France, on arrive vraiment à un point de la procédure jamais atteint. Ce qui est historique, c’est que pour la première fois le procès aboutit jusqu’à l’audience de plaidoiries », explique à RFI André Bouny, infatigable militant pacifiste et auteur de l’essai de référence « Agent Orange, Apocalypse Viêt Nam ».

Car les multiples tentatives de procès engagées par des victimes dans différents pays du monde se sont soldées par des échecs. 

En 2013, la justice sud-coréenne a bien condamné Monsanto et Dow Chemicals à indemniser 39 vétérans de la guerre du Viêt Nam mais les deux entreprises ont contesté la décision et les plaignants n’ont jamais touché un centime.

À la fin des années 1980, un accord à l’amiable a été signé avec des vétérans américains. En échange de l’arrêt des poursuites, plusieurs firmes de l’industrie chimique ont versé 180 millions de dollars de compensation.

Signe de la fébrilité de ces géants américains, un accord à l’amiable a également été proposé à Tran To Nga. Un accord qu’elle a refusé. 

En cas de victoire, elle deviendrait la première victime de nationalité vietnamienne à obtenir réparation.

Écocide

Drame humain, l’utilisation de l’agent orange est également un drame écologique. La guerre du Viêt Nam est terminée depuis plus de 45 ans pourtant les effets de la dioxine perdurent dans les écosystèmes vietnamiens, cambodgiens et laotiens.

La Croix-Rouge vietnamienne estime que plus de trois millions de personnes subissent encore les conséquences de ces épandages aériens car « la dioxine est descendue dans les sols et dans les nappes phréatiques qui alimentent les villes et les campagnes et on la retrouve aussi dans les boues », détaille André Bouny.

Or, la puissance toxique de la dioxine est « absolument phénoménale », 13 fois plus importante que les herbicides comme le glyphosate rappelle à l’AFP Valérie Cabanes, juriste et experte des questions environnementales.

À travers ce procès « historique », la septuagénaire entend participer à la reconnaissance internationale du crime « d’écocide ». Une notion utilisée pour la première fois en 1970, pendant la guerre du Viêt Nam, mais qui reste absente du droit pénal international.

Cependant, le chemin est encore long. En cas de jugement défavorable, ces géants de l’industrie chimique feront appel et la procédure pourrait encore traîner plusieurs années.

« Madame Tran To Nga est âgée et malade, elle a 78 ans. L’objectif pour les firmes, c’est de gagner du temps en attendant qu’elle meure, déplore André Bouny. car si elle venait à décéder, tout s’arrêterait. »

 

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