Les soldes d’hiver sauveront-ils le marché de la chaussure?

Après une année catastrophique en 2020, la chaussure a le blues. L’ouverture des soldes d’hiver reportée au mercredi 20 janvier va-t-elle permettre au marché de retomber sur ses pieds? Le doute subsiste auprès des professionnels du secteur. D’après les derniers chiffres publiés par la Banque de France, en décembre 2020, les ventes de chaussures ont en effet progressé de 2% en novembre et décembre 2020, rapportés aux mêmes mois de 2019. Mais sur l’ensemble de l’année, la Fédération des enseignes de la chaussure anticipe une perte de l’ordre de 22 à 23%. Ce qui représente une véritable « catastrophe économique » pour l’ensemble du marché, estime son président Frank Boehly. Un bilan d’autant plus cinglant qu’il intervient après une année 2019 elle-même « très difficile » pour le marché de la chaussure et de l’habillement, consécutif au mouvement des gilets jaunes et aux grèves RATP SNCF contre la réforme des retraites, souligne Michelle Bonnet, déléguée générale de la Fédération française de la chaussure, qui projette une baisse de 19% sur l’ensemble du marché de la chaussure pour l’année 2020.

Pour l’heure, place à la prudence. « Nous espérons que les ventes privées mises en place ces dernières semaines ont été positives, explique Michelle Bonnet. Malheureusement, nous ne pensons pas qu’il y aura un effet de

 rattrapage sur la partie soldes. » Au report des soldes qui a nettement divisé des commerçants déjà au bord de l’asphyxie, s’ajoutent en effet un couvre-feu étendu à 18h et une ouverture dominicale généralisée qui n’a pas encore été actée par le gouvernement. De quoi freiner toutes potentielles frénésies d’achat de la part du consommateur. Ces soldes ne seront « certainement pas les meilleurs de ces dernières années », anticipe déjà la Fédération française de la chaussure.

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Accélérer la digitalisation du marché

Une chose reste certaine. Ces soldes d’hiver surferont bien sur la vague du e-commerce qui s’est intensifiée l’an passé. En 2019, les achats à distance représentaient 20% du chiffre d’affaires du marché de la chaussure, alors que sur l’année 2020 cette part va grimper à 25%, fait savoir la Fédération. « L’enjeu principal sera d’accélérer la digitalisation du marché, car nous constatons que le développement des ventes passe par l’achat en ligne », explique Michelle Bonnet.

Cette digitalisation, la marque française Bobbies créée en 2006 l’avait anticipée bien avant la crise du Covid-19. Ce qui lui permet de tabler en 2020 sur une croissance de 5 à 10% de son chiffre d’affaires et d’attendre sagement l’ouverture des soldes d’hiver afin de créer « un effet d’attente » auprès de ses clients. La marque iséroise Paraboot qui se positionne sur le segment des chaussures haut de gamme a développé son activité e-commerce tardivement, en octobre 2020. Mais les premiers résultats dépassent déjà largement les attentes. « En quatre mois de vente sur Internet, nous avons réalisé le chiffre d’affaires de l’année », se réjouit son nouveau directeur général Eric Forestier. Pour Paraboot qui ne va solder que 20% de l’ensemble de ses collections, les soldes d’hiver représenteront néanmoins « peu » à la fois en terme de volumes de ventes et de chiffre d’affaires.

La chaussure de running explose

Dans ce contexte chahuté, une bonne nouvelle toutefois: deux segments devraient continuer à tirer leur épingle du jeu. Leader incontestable du marché de la chaussure en 2020, la chaussure de sport -et avec elle les sneakers- a pesé 55% du marché sur l’année 2020. « Nous avons observé une explosion de la chaussure de running aussi bien au niveau mondial que sur le seul marché français », fait savoir Bruno Paul, directeur commercial Europe de Saucony. Ce frémissement du marché s’est ressenti dès la sortie du premier confinement et la tendance a continué après le deuxième confinement, observe la marque américaine, dont les carnets de commandes ont connu une croissance à deux chiffres. Un succès tel que Saucony a connu une rupture de stocks sur la deuxième partie de l’année. En anticipant l’ouverture des soldes d’hiver, la marque se montre très prudente sur sa politique d’approvisionnement pour l’année 2021.

Un problème que ne semble pas rencontrer la pionnière de la basket écolo, Veja. La PME française n’a pas changé son fonctionnement en 2020, comme le souligne un porte-parole. Il indique par ailleurs que les ventes sur de nombreux sites internet internationaux ont explosé, sans pour autant donner de chiffres précis. « Comme nous ne surproduisons pas et que nous n’avons pas de stocks, l’année n’a pas eu la même répercussion que des entreprises ayant des centaines de milliers de marchandises à écouler. » 

La pantoufle résiste

Le bilan est positif pour la pantoufle qui résiste également à la crise. Georges Elkouby, PDG d’Isotoner France, compte sur cette période pour enclencher une reprise de l’activité qu’il programme aux alentours du printemps-été 2021. L’année 2020 a été particulièrement favorable aux chaussures d’intérieur, dont la Fédération française de la chaussure estime la baisse à « seulement » 12%. Ce qui a permis à Isotoner, dont les chaussons représentent 65% du chiffre d’affaires, d’amortir la chute. En 2020, la marque distribuée sur 4.500 points de vente à travers l’Hexagone a vu son chiffre d’affaires baisser de « seulement » 5% par rapport à l’année précédente, affichant 57 millions d’euros contre 61 millions en 2019.

Même constat du côté de la plateforme Spartoo qui a vendu 5,5 millions de paires de chaussures sur l’ensemble de l’année 2020. « Nous avons noté une explosion des produits d’intérieur type tongs et chaussons », observe son jeune PDG Boris Saragaglia. Globalement, ce segment a représenté 15 à 20% des volumes de ventes de Spartoo, alors qu’habituellement il ne représente que 2 à 3% des ventes de la plateforme. L’année n’a pas été pour autant de tout repos pour le jeune entrepreneur qui a placé en avril dernier la marque André en redressement judiciaire, deux ans après l’avoir rachetée au groupe Vivarte. Ce qui a sérieusement pesé sur les comptes de la plateforme créée en 2006, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 190 millions d’euros en 2020, contre 250 millions l’année précédente. « Nous avons perdu quasiment 70% de notre chiffre d’affaires avec le dépôt de bilan d’André », reconnaît Boris Saragaglia. L’ancien ministre Renaud Dutreil n’avait sans doute pas anticipé un tel regain d’activités pour la chaussure d’intérieur, après le placement en liquidation judiciaire à la fin 2019 de l’entreprise de charentaise LMC (La Manufacture Charentaise), dont il détenait la moitié des parts.