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Il y a un camp mal aimé, pour ne pas dire honni, qui attendait les conclusions de la mission de Benjamin Stora sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie » avec impatience, espoir et pas mal de scepticisme aussi.
En effet, les harkis – et leurs descendants – se demandaient si leur « douleur » d’avoir été abandonnés par l’Etat français au lendemain de la fin du conflit en 1962 serait « enfin » reconnue dans « la réconciliation entre les peuples français et algérien » que souhaite Emmanuel Macron.
Ce rapport – remis mercredi 20 janvier au chef de l’Etat – propose, parmi vingt-deux recommandations, de « voir avec les autorités algériennes la possibilité de faciliter le déplacement des harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie ». Cet avis a été accueilli avec étonnement, déception et colère.
« La libre circulation ? Mais c’est déjà le cas », souligne Boaza Gasmi, président du Comité national de liaison des harkis. Comme d’autres représentants associatifs, il explique que « la plupart » des supplétifs engagés dans l’armée française ont pu retourner « avec plus ou moins de difficultés » sur leur terre natale.
C’est déjà trop tard
Seule une minorité, la plus active durant les sept années de guerre, n’a jamais pu – et ne pourra jamais – reposer un pied en Algérie. « Et la majorité des harkis sont restés en Algérie après la guerre. Certains ont été massacrés, les autres ont vécu dans de terribles conditions là-bas », rappelle M. Gasmi.
« Réduire le drame des harkis à une seule mesure me choque profondément, tonne la journaliste Dalila Kerchouche, auteure de Mon père, ce harki (publié en 2003 au Seuil). Les enfants des harkis n’ont jamais été interdits de circuler en Algérie. » Pour l’historienne Fatima Besnaci-Lancou, membre du conseil scientifique du mémorial du camp de Rivesaltes où des familles de harkis ont été enfermées, cette question de circulation était « importante il y a quelques années, reconnaît-elle. J’y suis très sensible mais, aujourd’hui, la plupart des harkis ne sont plus en vie, les autres sont trop âgés pour voyager. »
Brahim Sadouni, 78 ans, un harki qui habite à Rouen (Seine-Maritime), a essayé à plusieurs reprises de retourner en Algérie, sans succès. « Je ne sais pas pourquoi, ça doit être à la tête du client. Quel crime ai-je commis ? Je n’ai jamais mis une gifle à quelqu’un, raconte-t-il encore ému. J’ai été enrôlé de force à l’âge de 17 ans, et mon père était un moudjahid (ancien combattant). Je n’ai jamais fait de mal à l’Algérie. »
Le vieil homme a accueilli la recommandation de Benjamin Stora sur les harkis et leurs enfants avec bienveillance mais, pour lui, c’est déjà trop tard. Aujourd’hui, au crépuscule de sa vie, il a décidé de ne plus tenter de retourner de l’autre côté de la Méditerranée où vivent encore sa mère et l’une de ses sœurs.
Attiser davantage les rancœurs
« Les dirigeants algériens nous ont découragés d’aimer notre pays. Les harkis qui vivent là-bas le font tête baissée. Ce pouvoir est injuste, clame-t-il. Des anciens cadres du FLN (Front de libération nationale) peuvent venir chez moi en France, mais on ne veut pas me laisser rentrer chez moi en Algérie, c’est incompréhensible et méprisant. »
Malgré cette douloureuse situation, Brahim Sadouni continue de parler de l’Algérie avec tendresse. Près de soixante ans après la guerre, il se considère toujours comme un enfant des Aurès (dans l’est du pays) et souhaite seulement le meilleur pour son autre pays. « Vous savez, quand l’Algérie va mal, on va mal aussi », conclut-il.
Au-delà du cas de M. Sidouni, le rapport Stora a du mal à passer chez les représentants des harkis. Ces derniers assurent qu’il va attiser davantage les rancœurs. « Ce n’est pas étonnant. Ce rapport ne cherche pas à reconnaître la trahison de la France envers les harkis, que l’Etat les a abandonnés et parqués dans des camps. Pour moi, le rapport n’oublie pas les harkis, il les enterre », argue Mme Kerchouche.
La journaliste voit dans ce rapport « une nouvelle insulte faite à nos pères ». Fatima Besnaci-Lancou, quant à elle, se demande si « cette recommandation qui n’aboutit à rien d’essentiel » a été formulée pour ne pas froisser le pouvoir algérien sur la question des harkis.
Sortir du déni
Car, à Alger, Abdelmadjid Chikhi, l’historien chargé de travailler conjointement avec Benjamin Stora sur les questions mémorielles entre les deux pays, ne semble pas vouloir débattre du sujet des anciens supplétifs de l’armée française. « Je souligne à ce titre que certains dossiers sont hors de discussion, tel que le sujet des harkis, d’autant que leur départ en France a été un libre choix (…). Il revient aux Français de se réconcilier avec leur histoire », a récemment déclaré cet ancien combattant de la guerre d’indépendance qui dirige le Centre national des archives algériennes et conseille le président Abdelmadjid Tebboune.
En réalité, la recommandation Stora serait surtout destinée aux autorités algériennes, une manière de les pousser à sortir du déni, à reconnaître officiellement qu’elles ont de facto accepté depuis longtemps le retour des harkis et de leurs enfants sur leur terre d’origine. M. Stora voudrait que ces retours soient assumés publiquement par Alger et non seulement tolérés en silence. Alors, pourquoi ne pas l’avoir écrit plus explicitement ?
Quoi qu’il en soit, les harkis et leurs descendants s’estiment, une fois de plus, effacés des mémoires franco-algériennes. « Les harkis restent indésirables dans l’histoire entre les deux pays », regrette Mme Kerchouche. C’était d’ailleurs une crainte exprimée avant la remise du rapport au président de la République. Une méfiance aussi vis-à-vis de Benjamin Stora qu’ils considèrent trop proche des autorités algériennes. Alors, en août 2020, l’association Génération harkis a saisi le Conseil d’Etat d’un recours en annulation de la décision d’Emmanuel Macron de confier cette mission mémorielle à l’historien.
Pour autant, certains représentants des harkis ne font pas que des reproches au rapport. La mise en place d’une commission « Mémoires et vérité », censée impulser des initiatives mémorielles communes entre les deux pays de la Méditerranée, pourrait permettre aux harkis et à leurs descendants de parler de leur histoire.
« Manipulations et mensonges »
« C’est ce que je réclame depuis longtemps. Je suis heureux que Benjamin Stora ait repris cette idée, note Mohand Hamoumou, 64 ans, fils de harkis. La vérité historique doit être recherchée et dite pour guérir les plaies et non pour les rouvrir. Etre dans un esprit de pardon ne signifie pas qu’on oublie. »
Mais l’ancien maire de Volvic (Puy-de-Dôme) insiste sur la notion de « réciprocité », absente selon lui du rapport : « L’Algérie doit poser un regard lucide sur le passé car on sait que, pour le pouvoir algérien, la guerre d’indépendance est utilisée à des fins politiques et pour cacher son échec. »
Fatima Besnaci-Lancou parle quant à elle de « manipulations et mensonges » qui continuent de « créer du ressentiment », génération après génération. L’historienne aurait souhaité que l’Algérie « fasse un pas » en abrogeant, par exemple, l’article 68 de la loi du 5 avril 1999 « relative au moudjahid et au chahid (martyr) » qui fait allusion aux harkis : « Perdent leurs droits civiques et politiques, conformément à la loi en vigueur, les personnes dont les positions pendant la révolution de libération nationale ont été contraires aux intérêts de la patrie et ayant eu un comportement indigne. » Ou encore en revoyant la façon dont les harkis sont racontés dans les manuels scolaires. « Il faut qu’on élève le débat », martèle-t-elle.
« Le temps des tribunaux »
D’autres porte-voix de la cause auraient préféré que le rapport Stora pousse le président de la République à reconnaître à travers une loi l’abandon de la France, principale revendication des harkis et de leurs descendants. Quoi qu’il en soit, pour le juriste Charles Tamazount, président du Comité harkis et vérité, le temps des rapports politiques ou mémoriels est terminé.
« C’est le temps des tribunaux », clame-t-il. En octobre 2018, il a obtenu gain de cause auprès du Conseil d’Etat à travers une décision sans précédent : l’Etat s’est vu condamné à verser 15 000 euros à son frère, fils de harki né et ayant vécu dans des camps de transit, au titre des « préjudices matériels et moraux subis ».
Dans un communiqué de presse, la plus haute juridiction administrative française avait estimé que « la responsabilité pour faute de l’Etat doit être engagée » pour « les conditions de vie indignes réservées aux familles de harkis dans les camps où elles ont été accueillies en France après l’indépendance de l’Algérie ». « Nous avons une vérité judiciaire, c’est plus fort que la vérité historique », assure M. Tamazount.
Aujourd’hui, l’affaire a été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). « La plainte a été jugée recevable en septembre, informe M. Tamazount. Nous attendons la décision. C’est la première fois que notre histoire va être jugée par des non-Français et des non-Algériens. Nous allons avoir peut-être une approche internationale et plus objective. »
L’article Les harkis et leurs descendants s’estiment toujours « indésirables » des mémoires franco-algériennes est apparu en premier sur zimo news.