« Par une espèce de miracle. L’exil de Yassin Al-Haj Saleh », de Justine Augier, Actes Sud, 336 p., 21,80 €.
Le précédent livre de Justine Augier, De l’ardeur (Actes Sud, 2017), était, à travers la Syrie et la figure lumineuse de l’avocate et égérie de la révolution syrienne Razan Zaitouneh, un portrait du monde arabe, dans ce qu’il a de meilleur et de pire. Son nouvel ouvrage, Par une espèce de miracle, est un portrait de l’Europe, dans ce qu’elle peut avoir de pire et de meilleur. Il y est surtout question de l’Allemagne, lieu de refuge pour des centaines de milliers de Syriens. Yassin Al-Haj Saleh, intellectuel dissident passé par les geôles du régime Assad, est le héros de ce second opus syrien. A travers le regard de cet exilé politique sur l’Europe et sur l’Allemagne, qu’il découvre, Justine Augier parle de nous, de nos valeurs et de nos renoncements.
Après « De l’ardeur », est-ce que vous pensiez pouvoir échapper à la Syrie et passer à autre chose ?
J’ai pensé y échapper brièvement et je me suis rendu compte que ce n’était pas possible. A l’origine de De l’ardeur, il y a un sentiment qui est très fort et qui a persisté. Un sentiment de scandale face à l’écrasement de la révolution syrienne et face à l’indifférence. Je ne me remets pas de ce double écrasement. Nous sommes aujourd’hui dix ans plus tard et il me semble que, en ayant connaissance de l’ampleur des crimes commis, cet oubli et cette impunité disent quelque chose de l’état du monde.
Cette histoire-là me concerne en tant qu’individu, en tant qu’Européenne. Quand j’ai appris que [l’intellectuel, opposant au régime de Bachar Al-Assad,] Yassin Al-Haj Saleh, avec toute l’histoire qu’il porte, s’installait à Berlin, dans cette ville qui a l’histoire qu’on connaît, cela a donné corps à ce sentiment d’être concernée. C’est pour cela aussi que j’écris. Pour me souvenir et lutter contre ces tentatives d’écraser, d’oublier. L’oubli, c’est un des grands mots de notre temps mais, dans l’oubli, la notion de conséquence s’abîme. La langue aussi s’abîme.
Pourquoi la langue ?
Quand des mots sont prononcés et qu’ils n’ont pas de conséquence, la langue perd de sa capacité à dire le réel et à le changer. C’est quelque chose dont j’ai pris conscience grâce à Razan Zaitouneh. Après les attaques chimiques sur la Ghouta, en 2013, que les Occidentaux avaient fixées comme une « ligne rouge », elle est sur place, elle documente, elle aide à enterrer les morts dans un effroi terrible. Mais elle le fait avec l’idée qu’il va y avoir une intervention. Elle ne peut pas croire que, si ces mots ont été prononcés, ils n’ont pas de conséquence. Il lui faut des semaines pour le comprendre. Au début, j’ai pris cela pour de la naïveté et ensuite j’ai trouvé ça très beau : il y a là quelque chose du rappel à l’ordre.
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