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Pierre Rigaux : « Beaucoup de dirigeants politiques manquent de culture écologique »

Le naturaliste Pierre Rigaux multiplie les enquêtes de terrain pour dénoncer les abus de la chasse, en dépit de menaces quotidiennes proférées à son encontre. Passionné, le militant écologique se projette sur les prochains combats à mener pour faire avancer la cause des animaux. Sans acrimonie. 30millionsdamis.fr l’a rencontré.

30millionsdamis.fr : À quand remonte votre passion pour les animaux ?

Pierre Rigaux : Spontanément, dès la prime enfance. J’étais très intéressé par la nature au sens large. J’ai grandi dans la grande couronne parisienne et nous vivions près d’une forêt et de jardins ouvriers. Observer les animaux sauvages, les plantes, la forêt, j’adorais ça depuis tout petit. Grâce à cela, j’ai forgé ma prise de conscience écologique et mon approche naturaliste.

Quels souvenirs vous ont particulièrement marqués ?

J’ai été très sensible à l’arrivée du béton qui remplaçait les endroits où j’allais observer les animaux sauvages. Quand on est enfant, on est sensible aux éléments naturels. Il y avait comme un sentiment de désespoir qui prédominait. Je me demandais : « Mais pourquoi on détruit de si beaux endroits ? » Mais dans les années 80, peu de gens s’intéressaient à tout ça. Au collège, je n’ai jamais croisé un seul autre élève qui s’intéressait à la nature. Je bataillais contre mes camarades qui écrasaient des crapauds ou caillassaient des écureuils. Je n’arrivais pas à comprendre qu’on puisse avoir tant de haine à l’égard des animaux et, surtout, pourquoi ça n’émouvait pas grand monde.

 

Enfant, je n’arrivais pas à comprendre qu’on puisse avoir tant de haine à l’égard des animaux.

Quel déclic vous a poussé vers le militantisme en faveur de la nature ?

C’est un chemin progressif. J’ai étudié la biologie à l’université et j’ai continué à observer le monde animal. J’ai travaillé dans des associations de protection animale, dont 11 ans à la Ligue Protectrice des Oiseaux (LPO). J’y ai appris beaucoup de choses, j’ai côtoyé des gens formidables. Mais j’ai voulu gagner en indépendance. Ce que j’aime, c’est observer la nature ; mais je ne me contente pas de photos, je veux me rendre utile. Je travaille énormément pour cela.

Vous dénoncez diverses pratiques cruelles de la chasse sur vos réseaux sociaux.

Oui. J’ai récemment fait une vidéo sur ce qu’on appelle la chasse à la hutte. Une pratique légale très répandue et populaire, notamment sur le littoral, où les chasseurs placent au bord d’un plan d’eau des canards en plastique ou des appelants vivants, tout en se cachant. Attirés, les canards se font ainsi plomber plus facilement.

En marge de la légalité, il y a la chasse à l’épieu qui consiste théoriquement à utiliser un épieu pour achever un animal. C’est un mode de chasse inconnu car les chasseurs ne s’en vantent pas tant c’est « gore ». Je pourrais en citer de nombreuses autres comme le déterrage, où l’on traque un animal à la pelle, à la pioche et à la barre à mine… Sans parler de la chasse à courre qui fait beaucoup parler d’elle aujourd’hui. Ce qui n’était pas forcément le cas auparavant.

Comment expliquer que les représentants des chasseurs parviennent à maintenir l’illusion qu’ils sont les « ambassadeurs de la ruralité » auprès de la classe politique ?

Les chasseurs sont peu nombreux en France mais sont implantés dans les territoires ruraux. Ils sont dans les instances de décision, les activités des villages comme les repas des chasseurs, les bals de pompiers etc… Ils cherchent à se rendre acceptables socialement. Dans le même temps, beaucoup de dirigeants politiques manquent de culture écologique et biologique. Il n’y a pas que des électoralistes parmi les députés. Certains sont sincères quand ils disent que la chasse représente la ruralité. Ce sont les mêmes qui votent en faveur de l’élevage intensif, contre les propositions de lois écologistes…

Ce sont pourtant les gens de la campagne qui subissent le plus les nuisances de la chasse…

 

Dans le monde moderne, on peut découvrir d’autres moyens d’observer les animaux qu’en allant les tuer.

Il y a un ras-le-bol exprimé par les ruraux : d’où la tentative des chasseurs de se positionner en défenseurs de la ruralité. Même avant les réseaux sociaux, il n’y a jamais eu un grand amour en faveur des chasseurs. La différence, c’est que la parole est plus libérée aujourd’hui. D’autant plus que les gens ont peur pour leur sécurité. Les accidents liés à la chasse sont légion. Quand le canton de Genève a interdit la chasse, le premier argument du rejet donné par les votants était l’argument sécuritaire. Ils voulaient aller dans la forêt sans crainte de prendre une balle. Mais je ne mets pas tous les chasseurs dans le même sac.

C’est à dire ?

Certains chasseurs n’ont pas l’impression de faire du tort. La plupart d’entre eux le sont de père en fils ou de grand-père en petit-fils. Tous n’acceptent pas la souffrance d’une chasse à l’épieu par exemple. Dans certains villages, on baigne dedans car c’est la seule activité disponible pour les jeunes. Par contre, au bout de quelques années, on peut remettre cette pratique en question. Dans le monde moderne, on peut découvrir d’autres moyens d’observer les animaux qu’en allant les les tuer. (A lire : « Pourquoi j’ai arrêté la chasse ! », NDLR)

Comment gérez-vous les menaces quotidiennes de certains chasseurs à votre encontre ?

Il y a deux choses : les insultes et les menaces. Les insultes, j’en reçois des tombereaux tous les jours sur les réseaux sociaux. Je suis blindé. Je me fais insulter depuis que j’ai 5 ans parce que je parle des animaux ! En revanche, les menaces sont plus problématiques mais c’est vivable. J’assume mon engagement. Je prends sur moi. Je ne veux pas en faire tout un plat. Bien sûr, je fais attention. Je ne vais pas vivre dans une maison isolée afin d’éviter les coups-bas. Au-delà de mon cas, je reçois beaucoup de témoignages de personnes qui ont été menacées par des chasseurs. Il y a une forme d’impunité dommageable. Pour ma part, je ne vais jamais attaquer les personnes. Je préfère m’en prendre aux pratiques.

 

Savoir que des enfants ne connaitront pas les animaux de cirques ou de delphinariums, me rend heureux !

Vous déclenchez aussi l’ire de certains éleveurs en parlant du loup…* Comment expliquez-vous les tensions autour de cet animal ?

Écrire sur le loup, c’est franchement complexe ! Les loups passionnent les humains depuis très longtemps. J’ai cherché à avoir une approche la moins binaire possible, entre les adorateurs et ceux qui le détestent. J’ai la chance depuis pas mal d’années de vivre là où il y a l’essentiel de la population lupine de France. C’est notre quotidien. L’Homme a beaucoup combattu le loup tout au long de l’Histoire, cela transpire dans la littérature. Une forme de détestation s’est forgée au sein d’une partie d’éleveurs de moutons face à cet animal qui s’en prendrait à leur troupeau. D’autre part, il y a la réalité de la prédation. C’est un animal qui tue pour se nourrir. On peut trouver ça choquant. C’est un argument utilisé par beaucoup d’anti-loups. Le côté sauvage et non maîtrisable du loup remet en cause nos pratiques. Et cela créé ce malaise.

Quelle a été votre réaction à l’issue du vote en 1ère lecture de la loi contre la maltraitance animale à l’Assemblée nationale ?

C’est une loi très positive car il y a des avancées. Il faut savoir le dire car c’est extrêmement rare sur ce sujet ! Bien sûr, c’est une loi où le cœur même de la question animale n’est pas vraiment abordé. On s’attaque à des pratiques comme les cirques ou les delphinariums ; en revanche on met de côté l’élevage intensif ou la chasse. Mais remettons cela dans un contexte de plusieurs millions d’années de chasse, de milliers d’années d’élevages et de décennies d’élevage intensif. L’exploitation des animaux est liée à l’histoire humaine. On ne peut pas du jour au lendemain transformer radicalement la relation entre êtres humains et animaux, même si je l’aimerais. Les victoires, il faut donc les prendre. Savoir que les enfants ne connaitront pas les animaux dans les cirques ou les bassins des delphinariums, ça me rend heureux !

*Loups, un mythe vivant, Delachaux et Niestlé, 2020

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