La gare de bus de la compagnie Africa Tours Trans, à Bamako, n’est que l’ombre de la fourmilière habituelle depuis que, sous l’effet des sanctions ouest-africaines, les principales frontières routières du Mali sont fermées et que les bus circulent moins. En cette fin de matinée, un seul bus, venant de Sévaré (centre), vient rompre la torpeur de la cour aux bâtiments jaunes et rouges, comme le logo de la compagnie. En fond sonore, une télévision diffuse des feuilletons ouest-africains à l’eau de rose devant plusieurs dizaines de passagers désabusés. Leurs bagages, prêts pour l’embarquement, traînent au soleil depuis qu’on leur a annoncé, à l’aube, l’annulation de leur bus.
Le Mali, où la junte militaire n’a pas tenu ses engagements après avoir promis de rendre le pouvoir aux civils en février 2022 après deux putschs, a été frappé de sanctions par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), dont les Etats membres ont décidé de fermer leurs frontières avec le pays. Seules restent ouvertes les routes vers la Mauritanie, l’Algérie – qui ne font pas partie de la Cédéao – et la Guinée. Cette dernière, membre de l’organisation, en a été suspendue après avoir connu elle-même un coup d’Etat ; et les militaires qui la dirigent ont décidé de laisser ouverte la frontière avec le Mali.
« Ça fait trois jours que j’attends »
Le Mali est un nœud du transport routier ouest-africain. Le pays est certes enclavé mais immense. La capitale, Bamako, est incontournable quand on veut voyager du Sénégal, de la Gambie ou de la Mauritanie vers le reste de l’Afrique de l’Ouest.
« Donc maintenant je suis là, au Mali », sourit Jennifer Edong, une Nigériane d’une trentaine d’années, tresses tombant sur les épaules. Travaillant dans le design et la mode, elle voyage du Nigeria vers la Gambie pour son travail. Arrivée vendredi 7 janvier à Bamako par le bus de Cotonou, elle devait prendre celui du mardi 11 janvier, à 5 heures du matin, vers Banjul. Elle était prête à 4 heures, mais « ils nous ont dit que c’était annulé à cause des frontières fermées », peste-t-elle : « C’est ma première fois ici et maintenant ça fait trois jours que j’attends dans cette gare. Je suis bloquée, on ne peut rien faire, je n’ai pas de carte SIM et la nourriture n’est pas celle que j’aime ! »
Un rang devant elle, allongé sur un des bancs de fer qui font face à la télévision, un autre Nigérian essaie de dormir. Entrouvrant un œil, il demande timidement : « Vous, vous savez quand ça va rouvrir ? » Personne ne sait. Les réponses sont des haussements d’épaules ou de grandes tirades véhémentes contre la Cédéao.
Nigérian installé en Gambie depuis une dizaine d’années, Peter Adeyemo, 48 ans, n’est pas énervé mais las. Il était parti avec femme et enfant « voir la famille pour Noël et le Nouvel An ». Comme tout le monde, il est bloqué à Bamako : « On n’est pas d’ici, on ne peut pas prendre de bain, on ne peut pas se changer et on n’a pas d’argent local pour acheter à manger », détaille-t-il.
Des passagers débarqués à la frontière
Pour les nombreuses compagnies de bus basées à Bamako, l’annonce de ces sanctions a été comme une double peine : la pandémie de Covid-19 a déjà causé la fermeture de plusieurs frontières terrestres dans la sous-région. « Avec les sanctions qui viennent s’ajouter, ça va faire empirer le problème », dit Yaya Zakaria Touré, représentant d’Africa Tours Trans : « Nos voyages sont tournés vers l’international : Cotonou, Lomé, Banjul, Dakar… Ça nous a donc touchés, tous les voyages qui étaient programmés ont été annulés pour la semaine. Mais on va faire avec car on n’a pas d’autre choix. »
Nombreuses sont les compagnies qui continuent d’opérer en débarquant leurs passagers à quelques mètres de la frontière. A ces derniers, ensuite, de traverser à pied et bagages en main ces frontières souvent poreuses pour prendre un autre bus de l’autre côté. « A la frontière avec la Côte d’Ivoire, fermée depuis deux ans avec le coronavirus, c’est comme ça qu’on fait », raconte un chauffeur de bus.
Celui d’Africa Tours Trans n’a pas bougé de la matinée. Les Maliens qui pouvaient rentrer chez eux l’ont fait. Les autres, souvent étrangers sans logement ni proche dans la capitale, restent sur les bancs de la gare. « Par la grâce de Dieu, peut-être qu’on pourra partir bientôt », dit Jennifer Edong.
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