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Il est la surprise de ce premier tour des élections du 11 avril dont les Péruviens n’attendaient rien, écœurés par leur système politique rongé par la corruption. Pedro Castillo, 51 ans, représentant de la gauche radicale et peu connu des électeurs, était crédité d’à peine 3 à 4 % d’intentions de vote il y a quelques semaines. Pourtant, il a été le premier, dimanche soir, à se qualifier au second tour avec 19 % des voix. Il a fallu attendre lundi 12 avril après-midi pour que se dessine avec certitude le visage de sa concurrente, la populiste Keiko Fujimori, fille de l’ancien autocrate Alberto Fujimori (1990-2000), qui a péniblement récolté 13 % des voix.
Comme les analystes le prédisaient, le vote – qui renouvelait également les 130 membres du Congrès – a été extrêmement dispersé entre les 18 candidats présidentiels. Les Péruviens ont voté sans enthousiasme, à l’heure où le pays traverse le pire moment de la pandémie – en moyenne 300 morts par jour – et fait face à une pénurie d’oxygène.
Professeur originaire de la région de Cajamarca (nord) et leader syndical, Pedro Castillo s’est fait connaître par le reste du pays au cours d’une grève du corps enseignant en 2017. Pour l’élection, cet électron libre s’est arrimé au parti Peru Libre, une formation de gauche marxiste léniniste dont les dirigeants déclarent représenter le « Pérou profond » défendant une feuille de route antinéolibérale. Il est à la fois à gauche sur les questions économiques – il plaide pour plus d’Etat, la nationalisation des mines ou du pétrole et fait le vœu d’une nouvelle Constitution pour remplacer celle de 1993 donnant la primauté au secteur privé –, et à droite sur des questions de société – il est anti-avortement ou contre le mariage pour tous.
« Désenchantement des Péruviens pour la politique »
« Une surprise mais pas un raz-de-marée ! tempère la politiste Paula Munoz de l’université du Pacifique. Le fait qu’aucun candidat ne puisse rassembler ne serait-ce que 20 % au premier tour en dit long sur le degré de désenchantement des Péruviens pour la politique ». D’autant que plus de 17 % des électeurs ont glissé un bulletin blanc ou nul dans l’urne comme Cristian, rencontré devant un bureau de vote d’un quartier populaire de Lima, qui a préféré voter nul face au « fléau des politiques » accusés de « voler l’argent des Péruviens ».
Le « tous pourris » fait ici florès, quand tous les anciens présidents élus depuis 2001 sont poursuivis par la justice – sous le coup d’enquêtes dans l’affaire des pots-de-vin versés par l’entreprise brésilienne Odebrecht à des dirigeants latino-américains – et que la plupart ont fait de la prison préventive (l’ex-président Alan Garcia s’est suicidé avant son arrestation en 2019).
Dans ce contexte, « Pedro Castillo a bénéficié de plusieurs atouts : le fait qu’il ne soit pas liménien mais originaire de province, qu’il soit nouveau – il n’a jamais été candidat – et qu’il soit d’origine sociale très humble. Cela parle aux gens, ils peuvent s’identifier », analyse P. Munoz. Les zones où il a obtenu le plus de voix sont des régions des Andes, marquées par la pauvreté ou l’extrême pauvreté comme la région d’Apurimac (au sud), où il obtient plus de 50 % des suffrages quand à Lima, la capitale, il arrive à peine à 8 %. « Un cri de l’intérieur du pays qui souffre d’une relégation séculaire », estime l’historien Daniel Parodi de l’Université catholique du Pérou (PUCP).
Une alliance possible au second tour
Keiko Fujimori est, elle, une figure bien connue des Péruviens, candidate pour la troisième fois à la présidence. Elle incarne une droite autoritaire, conservatrice et populiste. En mars 2021, un juge anticorruption a requis plus de 30 ans de prison à son encontre, notamment pour présomption de blanchiment d’argent et d’appartenance au crime organisé, dans le cadre du financement occulte de ses précédentes campagnes électorales.
« Keiko », comme on la surnomme, devrait faire alliance au second tour avec les deux autres candidats de droite qui la talonnent avec chacun près de 12 % des voix, Hernando de Soto (droite ultralibérale) et Rafael Lopez Aliaga (extrême droite). Malgré des candidatures séparées, ils seraient, selon Daniel Parodi, « les trois visages du fujimorisme ».
L’élection mettra-t-elle fin à la guerre politique entre le Congrès et l’exécutif qui a plongé le Pérou dans une instabilité mortifère avec quatre présidents en cinq ans ? Rien n’est moins sûr. Le scénario qui se dessine semble être celui d’une nouvelle période d’instabilité avec un(e) futur(e) président(e) qui peinera à obtenir une majorité au Congrès, notamment si la gauche arrive au pouvoir (elle a obtenu seulement 35 députés).
La bataille de l’entre-deux tour sera féroce entre les deux candidats que tout oppose. Si Keiko est une figure clivante au passé lourd et qui, au-delà de son noyau dur, génère énormément de rejet, « Castillo, lui effraie les milieux conservateurs avec un discours antisystème », affirme M. Parodi. Le (a) prochain(e) président(e) héritera d’un pays à la démocratie dangereusement affaiblie, alors que le Pérou célèbre cette année le bicentenaire de son indépendance.
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