Lutte syndicale et solidarité féminine: Sylvie Kimissa, mère de famille congolaise de 50 ans entrée en Europe par l’Italie, raconte le parcours qui l’a conduite jusqu’à l’Ibis Batignolles, à Paris, où elle mène une grève des femmes de chambre depuis juillet 2019.
« Dans cette société, c’est toujours le patronat qui gagne », critique cette forte tête, décidée à inverser la tendance: STN, son employeur, mais également l’hôtel et le groupe Accor, les donneurs d’ordre, sont assignés mercredi devant le conseil des Prud’hommes de Paris pour harcèlement moral et sexuel.
« Nous, les immigrés, ce n’est pas à nos droits auxquels on pense en premier, mais à l’argent pour vivre. Ces femmes sont invisibles, incapables de dénoncer leur situation », poursuit-elle, à la tête d’un groupe de 20 femmes de chambre désireuses d’obtenir de meilleurs salaires et conditions de travail et d’être intégrées chez Accor.
Rien ne prédestinait pourtant Sylvie, qui a étudié le secrétariat au Congo-Brazzaville, à se rebeller contre son patron. Mais faute d’opportunité dans son pays, elle a dû se résoudre à le quitter en 2009 et a débarqué à Melun après un détour par l’Italie, où son visa touristique venait d’expirer.
« C’était là où le visa était le plus simple à obtenir, se souvient-elle. Chez moi, il n’y avait plus rien. Dans le train pour Paris, c’était mon jour de chance: il n’y a pas eu de contrôle de police ».
Bien que sans-papiers, elle décroche rapidement une garde d’enfants. Enfin déclarée, elle obtient un récépissé lui donnant le droit de travailler, puis des titres de séjour d’un an renouvelables et enfin, après cinq ans, le Graal: une carte de résident.
« C’est un marathon, assure-t-elle. Sans fiche de paie, tu peux attendre 20 ans! Ses papiers, c’est grâce à sa motivation qu’on les obtient ».
Entre-temps, elle s’est installée à Bondy (Seine-Saint-Denis) et un petit garçon est né en 2011. En quête de « stabilité » et d’un CDI, elle arrive ainsi en 2013 à l’Ibis Batignolles où elle est titularisée au bout d’un an de CDD.
Dans l’immense hôtel du XVIIe arrondissement, les sous-traitants s’enchaînent et STN récupère le contrat des femmes de chambre en 2016.
« Après deux mois, ils commençaient à diviser les salariés. C’était une dictature militaire. Il y a des caméras partout dans l’hôtel. Quand ils nous voyaient discuter à deux ou trois, ils envoyaient les vigiles et nous mettaient des avertissements. On était terrorisées », raconte-t-elle.
Surtout, le personnel externe est payé à la tâche et non à l’heure. Pour six heures par jour, c’est-à-dire en théorie 21 chambres à nettoyer, Sylvie touche 1.000 euros mensuels.
– Caisse de solidarité –
« Souvent on fait beaucoup plus, jusqu’à 3 heures supplémentaires par jour et elles ne sont jamais payées. Certaines font même beaucoup plus encore », poursuit-elle.
Difficile dans ces conditions de « joindre les deux bouts », raconte-t-elle avec pudeur depuis le 11e étage de l’immeuble HLM où la famille vit à trois.
« Cela fait quatre ans que je me bats pour une 2e chambre car le petit a grandi », indique-t-elle au passage.
« Notre travail permet de payer l’essentiel, pas de vivre. Pendant les neuf premiers mois (de la grève), on a vécu avec la caisse de solidarité. Avec le Covid, on nous a mis en chômage partiel et on touche désormais environ 600 euros par mois », détaille-t-elle.
« J’ai découvert une fille gentille, serviable. C’est devenu plus qu’une grande soeur », témoigne sa collègue Rachel Keke. « Quand je me dispute avec mon mari, c’est elle que j’appelle. J’ai confiance, je sais qu’elle assure ».
Unie aux autres femmes dans la lutte syndicale, Sylvie a appris à se sentir « fière » dans la lutte portée par le syndicat CGT-HPE (Hôtels de prestige et économiques).
« Ça demande du courage. Ce qu’on signera restera et bénéficiera à ceux qui passeront après », est-elle convaincue alors que son fils de neuf ans lui répète vouloir devenir « syndicaliste pour défendre les travailleurs ».
Autant d’arguments qui valident ses choix de vie malgré le sentiment « d’exil » persistant et deux « blessures intérieures »: celle de n’avoir pu retourner au Congo depuis 2014, et celle d’avoir délaissé depuis 10 ans l’une de ses deux filles aînées, au Sénégal.
« Je ne regrette pas d’être partie car je n’aurais pas pu construire ça au Congo », reconnaît-elle, entre « tristesse et amertume ». « J’ai quand même un toit, je suis salariée ».
Et puis, il lui reste son rêve: ouvrir un restaurant au Congo et « pouvoir faire des allers-retours ».
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