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Le désespoir des réfugiés hazaras “sans vie et sans avenir” en Indonésie

Publié le : 28/01/2022 – 19:11

Des images filmées le 18 janvier 2022 montrent des réfugiés afghans battus à coups de bâton par la police lors d’une manifestation à Pekanbaru, en Indonésie. Dans ce pays, des milliers de réfugiés afghans, en grande partie issue de la minorité hazara, sont bloqués en transit, parfois depuis près d’une décennie, et dépourvus des droits les plus basiques.

Minorité musulmane chiite opprimée depuis des années en Afghanistan, les Hazara sont nombreux à quitter le pays pour l’Indonésie, où ils espèrent obtenir l’asile vers d’autres pays comme les États-Unis ou l’Australie. Mais nombreux sont ceux à ne jamais y parvenir. 

En Indonésie, les manifestations des Hazara pour réclamer des droits se sont intensifiées après le suicide d’un homme hazara, Sayed Nader Balkhi, le 16 janvier 2022, à Pekanbarun. Pendant six ans, il avait attendu d’être relocalisé dans un autre pays, sans être autorisé à travailler, ni pouvoir envoyer ses cinq enfants à l’école. 

La rédaction des Observateurs de France 24 a échangé avec un groupe de réfugiés hazaras bloqués en Indonésie.

Adila est hazara. Elle vit avec son frère à Pekanbaru depuis maintenant six ans :

Nous sommes allés au bureau du HCR [le 18 janvier 2022] pour demander de l’aide. Mais la police nous a battus très violemment. Dix hommes ont été blessés et sont à l’hôpital. Ils ont battu les femmes, les enfants. La police était armée avec des bâtons et courait après nous.

Niaz Farahmand vit aujourd’hui dans un camp de réfugiés à Pekanbaru :

Il y a environ 14 personnes qui se sont suicidées au cours des dernières années en raison de l’incertitude et du manque de perspectives.

« Nous sommes en vie, mais nous ne vivons pas » 

L’Indonésie a longtemps été un pays de transit, dans lequel les réfugiés passaient plusieurs mois, voire des années avant de pouvoir s’installer dans un autre pays. La plupart finissaient en Australie ou aux États-Unis. Mais ces dernières années, ces deux pays ont radicalement réduit le nombre de réfugiés qu’ils accueillaient. 

L’Indonésie n’est signataire ni de la Convention de 1951 ni du Protocole de 1967, tous deux relatifs au statut des réfugiés, ce qui signifie que les réfugiés ne peuvent pas s’installer de manière permanente dans ce pays. Ils ne peuvent rester en Indonésie que pendant période limitée, comme s’ils étaient en transit dans un aéroport et ne faisaient que passer.  

Par conséquent, ils ne sont pas autorisés à travailler ou à aller à l’école en Indonésie, ni même à conduire une voiture. Ils ne peuvent pas voyager en dehors des limites de la ville où ils résident et, sans aucune source de revenus, doivent vivre d’une allocation mensuelle de 1 250 000 IDR (77 euros) fournie par l’Organisation internationale pour les migrations. Celle-ci couvre à peine les dépenses de base comme la nourriture. À long terme, ce manque de liberté fait des ravages, explique Niaz Farahmand :

Nos enfants ont besoin de recevoir une éducation, ils n’en reçoivent pas du tout. Nous sommes ici depuis huit ou neuf ans et toute une génération d’enfants est privée d’éducation pendant leurs années les plus critiques. 

Nous sommes comme des prisonniers ici. Nous n’avons aucune liberté. Certains habitants nous disent que nous devrions être reconnaissants et que nous avons beaucoup de chance de recevoir de l’argent chaque mois sans avoir à travailler. Nous sommes reconnaissants d’avoir de la nourriture et un endroit pour vivre. Mais ce n’est pas suffisant. Chaque être humain mérite d’être libre et de vivre en paix. 

Latifa Rasikh vit actuellement avec sa famille dans un centre de réfugiés à Batam, en Indonésie :

Nous sommes souvent coincés ici entre huit à dix ans. Pendant cette période, nous n’avons aucune information sur notre avenir et nous vivons dans l’incertitude la plus totale. Lorsque nous en parlons au bureau du HCR, ils ne nous donnent aucune raison d’espérer et disent que nous pourrions rester ici pour toujours.

Nous n’avons pas une vie normale, nous n’avons pas d’avenir, nous n’avons pas d’espoir. Nous sommes en vie, mais nous ne vivons pas.

« Nous ne pouvons même pas envoyer de l’argent à notre famille »

La prise de contrôle de l’Afghanistan par les Taliban en août dernier n’a fait qu’empirer les choses pour les Hazara d’Indonésie, qui ont vu s’évaporer leurs chances de retour, déjà minces, et craignent désormais pour la sécurité de leurs proches restés dans le pays.

Sharifa Erfan vit également dans un centre de réfugiés à Batam :

Ma famille est en Afghanistan et je ne peux rien faire pour elle. Depuis la prise du pouvoir par les Taliban en août, les choses ont empiré pour nous mentalement, car nous savons que nous ne pourrons jamais rentrer chez nous et nous sommes tellement inquiets pour notre famille et nos amis. Ils sont en grand danger et nous ne pouvons rien faire pour les aider ici. Nous ne pouvons même pas leur envoyer de l’argent. Rien. 

Musulmans chiites dans un pays qui est à 99 % sunnite, les Hazara sont également victimes de discrimination en Indonésie, où ils constituent à nouveau une minorité. Amanullah Sahil vit dans un centre de réfugiés à Makassar :

Nous sommes hazaras chiites, nous ne pouvons pas le montrer en Indonésie car nous avons peur pour nos vies. Nous devons nous cacher. Même si l’Indonésie signait la convention de 1951, nous ne pourrions pas rester à cause de notre religion.

Plusieurs ONG ont dénoncé la situation des réfugiés bloqués en Indonésie, la négligence des enfants migrants et l’absence d’action gouvernementale.

Alors que le nombre de réfugiés ne fait qu’augmenter, il est devenu de plus en plus difficile d’espérer pouvoir s’installer. En 2020, on estimait à 1,4 million le nombre de réfugiés ayant besoin d’être réinstallés dans le monde. Seulement un peu plus de 2 % (34 400) ont été relocalisés pour dans un nouveau pays, selon le Migration Policy Institute.

La pandémie du Covid-19 n’a fait qu’aggraver la situation. Le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU a ainsi constaté que 160 pays avaient fermé leurs frontières à une période donnée pendant la pandémie en 2020. Et 99 États ne faisant aucune exception, même pour les réfugiés en quête de protection.

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