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Gisement de fer de Simandou : les autorités guinéennes pressent les futurs opérateurs

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Site minier de Simandou, en Guinée-Conakry. DR

Au cœur d’un feuilleton à rebondissements qui dure depuis des décennies, la « montagne de fer » de Simandou, située aux confins sud-est de la Guinée, va-t-elle enfin être exploitée ? Les autorités de transition mettent la pression sur les opérateurs. Le Comité national pour le rassemblement et le développement (CNRD), conduit par le colonel Mamady Doumbouya depuis son coup d’Etat du 5 septembre 2021 contre Alpha Condé, leur a fait savoir qu’il comptait fermement sur une entrée en production en 2025.

Convoqués le 7 décembre 2021 par l’ancien légionnaire devenu putschiste, le consortium Winning Consortium Simandou (WCS), responsable des blocs 1 et 2 du gisement, et le groupe anglo-australien Rio Tinto (blocs 3 et 4), ont confirmé le jour même leur engagement à développer le projet. WCS pense pouvoir tenir les délais, très serrés, ce qu’il avait déjà affirmés, le 23 novembre, lors d’une réunion avec le premier ministre civil de la transition Mohamed Béavogui.

Le gisement contient 8 milliards de tonnes de fer, matière première à la base de la production d’acier. Chacun des deux opérateurs pourrait produire 100 millions de tonnes de minerai par an durant plusieurs décennies (pour une production annuelle mondiale de 2,3 milliards de tonnes). L’exploitation de Simandou devrait rapporter des revenus considérables à la Guinée : tirés des dividendes, l’Etat étant actionnaire à 15 % des futures mines ; mais aussi des taxes diverses et des royalties. D’autant plus que le minerai guinéen est d’une grande qualité (65 % de teneur en fer), ce qui élève son prix de vente à la tonne sur les marchés internationaux. Malgré une série d’exonérations fiscales accordées aux deux opérateurs, le ministère des mines de Guinée a estimé que l’exploitation des blocs 1 et 2 de WCS rapportera 15,5 milliards de dollars (13,5 milliards d’euros) à l’Etat, étalés sur les vingt-cinq années de validité de la convention minière conclue en 2020.

Des milliers d’emplois à créer

Ce mégaprojet minier inclut également la construction de 650 km de voies ferrées traversant la Guinée d’est en ouest destinée à l’acheminement du minerai jusqu’au port d’où il sera exporté. Cette entreprise titanesque désenclavera une vaste partie du pays. Elle devrait potentiellement créer des activités économiques le long de la voie et, donc, des milliers d’emplois supplémentaires. Plusieurs entreprises ont notamment demandé des concessions minières sur des terrains situés le long de la future voie ferrée.

L’exploitation de Simandou diversifierait l’activité minière de la Guinée, dominée, ces dernières années par la bauxite. L’extraction de ce minerai à la base de la production de l’aluminium a littéralement explosé, passant de 16 millions de tonnes par an en 2013 à 88 millions en 2020.

Fadi Wazni, le directeur général de WCS société au capital singapourien, chinois et guinéen, affirme que l’étude de faisabilité de la mise en production sera « finie en février », au plus tard. Selon lui, « 4,8 milliards de dollars » de contrats ont été signés avec plusieurs entreprises chinoises, dont des filiales de China Railway Construction Corporation (CRCC) pour la construction du chemin de fer.

La cérémonie de pose du premier rail de WCS, prévue en décembre 2021, a été reportée par le président de la transition qui veut auparavant passer en revue les études techniques relatives à la voie ferrée et au port d’embarquement. Jusqu’alors, ces études n’avaient pas été transmises à l’administration alors qu’elles doivent être validées par la Commission interministérielle d’évaluation des études, instance créée avant l’arrivée de la junte au pouvoir. Selon Akoumba Diallo, journaliste spécialiste du secteur minier et auteur de l’essai Dans l’arène de Simandou (éd. Edilivre), la commission gouvernementale a produit « un rapport favorable avec quelques réserves », prenant en compte les « chantiers impressionnants » déjà engagés. « L’Etat guinéen a intérêt à voir ces infrastructures mises sur pied », ajoute le journaliste.

Travaux préparatoires autorisés

Cette commission n’a pas vocation à réexaminer et potentiellement annuler des titres miniers, comme le fit, en 2014, le Comité stratégique de revue des titres et conventions miniers. Cette instance avait alors recommandé au président Alpha Condé (2010-2021) de retirer les droits d’une joint-venture formée entre le géant minier brésilien Vale et la société du milliardaire israélien Beny Steinmetz sur les blocs 1 et 2 de Simandou. Cette décision avait déclenché une bataille judiciaire et des arbitrages portant sur plusieurs milliards de dollars.

La pose du premier rail a donc été reportée sine die. Seuls des travaux préparatoires sont autorisés. La construction du chemin de fer est pourtant indispensable à la réussite du projet Simandou. Mais tirer 650 km de voies reliant ce gisement enclavé près de la frontière avec le Liberia et la côte Atlantique est un défi logistique. Des organisations non gouvernementales s’inquiètent également de son impact sur la biodiversité.

Environ 10 milliards de dollars (auxquels s’ajoutent 5 à 10 autres milliards pour les mines et le port) seront nécessaires à la construction de ces infrastructures, selon les prévisions initiales de Rio Tinto qui détient des permis à Simandou depuis 1997 mais n’a jamais donné de « top départ » aux travaux. Le géant minier avait même annoncé, en octobre 2016, son intention de vendre ses parts dans le projet à son coactionnaire, le groupe chinois Chinalco. La transaction n’a jamais été finalisée.

Depuis, Rio Tinto actualise ses données et temporise avant de prendre la décision finale d’investissement dans le projet. Des négociations ont débuté avec Winning Consortium Simandou pour définir des modalités d’une éventuelle collaboration sur les infrastructures ferroviaires.

Baisse de la demande mondiale

Pourtant, Andrew Gadd, analyste senior acier à CRU Group, une société de veille économique spécialisée dans les minerais et métaux, « ne s’attend pas à ce que Rio Tinto développe ses blocs 3 et 4 ». L’analyste juge que ce serait « une mauvaise allocation des ressources du groupe minier étant donné que la combinaison du volume de capital requis, des risques liés au projet et de son retour sur investissement plutôt faible rapporterait peu aux actionnaires ». L’instabilité politique en Guinée ainsi que la baisse, attendue d’ici à 2030, de la demande mondiale en minerais de fer ne jouent pas en faveur du projet. Andrew Gadd rappelle aussi que l’entrée en production de Simandou « poussera les prix du fer vers le bas sur le long terme en apportant un large volume supplémentaire sur le marché, réduisant la rentabilité des mines en activité, notamment celles du Pilbara australien », où Rio Tinto est actif.

Sous couvert d’anonymat, un ancien cadre du projet Simandou chez Rio Tinto concède que le groupe minier n’est pas encore convaincu de sa rentabilité. Mais il précise que si WCS avance, alors Rio Tinto sera peut-être contraint de le faire aussi. Les autorités guinéennes pourraient menacer de lui retirer ses droits sur le gisement afin de trouver un autre opérateur.

Se défaire d’un site aux ressources telles n’est pas le meilleur calcul pour Rio Tinto, deuxième producteur mondial de fer avec environ 320 millions de tonnes produites par an. D’autant que la demande, même orientée à la baisse, restera significative. Notamment de la part de la Chine, qui importe chaque année 75 % de la production mondiale de fer et consomme 55 % de celle d’acier. Les industriels chinois veulent par ailleurs diversifier leur approvisionnement au-delà des gros pôles de production actuels : l’Australie, avec laquelle les relations diplomatiques et commerciales sont tendues ces derniers mois, et le Brésil.

Source

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