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« Je n’ai jamais emprunté d’argent de ma vie mais je n’ai pas eu le choix » : après le choc du Covid-19, le naufrage de la classe moyenne indienne

Par Ravi Pinto

Publié aujourd’hui à 09h59

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ReportagePrêts sur gage, ventes de bijoux, cagnottes en ligne… Les Indiens tentent, par tous les moyens, de surmonter la crise économique qui a plongé 230 millions de personnes sous le seuil de pauvreté.

La file d’attente s’étend jusque sur le trottoir. Pourtant, les clients de Muthoot Finance, l’un des plus gros prêteurs sur gage en Inde, préféreraient rester discrets. Leur malaise est palpable, la tête basse et le regard fuyant. Ils sont commerçants, patrons d’une petite entreprise ou encore salariés. En dernier recours, ils sont venus déposer ici des bijoux en or pour emprunter un peu d’argent.

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, plus d’une trentaine de personnes franchit quotidiennement le seuil de cette minuscule agence, située à Lajpat Nagar, un quartier populaire du sud de New Delhi. C’est deux fois plus qu’auparavant. Mais personne ne souhaite s’épancher tant le choc du déclassement est violent pour ces Indiens qui vivaient jusque-là relativement bien. Il y a peu, Sangeeta Sareen était encore à la tête d’un centre d’accompagnement scolaire. Aujourd’hui, elle a dû laisser ses bijoux en garantie pour un peu d’argent liquide. Sous le coup de l’émotion, elle ne parviendra pas à finir son histoire.

La porte de l’agence s’ouvre, un homme d’une cinquantaine d’années à la barbe poivre et sel en sort. « Mes difficultés financières ont commencé avec le premier confinement, j’ai perdu énormément de clients », indique Kuppu Kumara Velu. Installateur télé à son compte, il vient tout juste de régler les intérêts mensuels de son emprunt de 600 euros, obtenu contre un bracelet en or.

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Ce père de famille a perdu plus de cinq cents clients au cours des dix-huit derniers mois. Les boîtiers télé de ses anciens abonnés du câble prennent désormais la poussière, entassés dans un couloir de son domicile, non loin de là. Son activité lui avait jusque-là toujours permis de subvenir aux besoins de son épouse et de leurs deux filles de 12 et 14 ans. Mais, en moins de deux ans, les rentrées d’argent de Kuppu Kumara Velu ont été divisées par trois, passant d’environ 800 euros à 230 euros par mois.

Jamais la famille n’avait traversé une passe si difficile. « Avant, je pouvais emmener mes filles faire les magasins et leur acheter de jolis vêtements neufs, regrette Manjula, l’épouse de Kuppu Kumara Velu. On mangeait souvent de la viande mais j’ai dû expliquer à mes enfants que nous n’avions plus d’argent et qu’il fallait désormais s’en passer. » Les deux adolescentes ont également dû abandonner leur passion pour la pâtisserie, faute de pouvoir se procurer les ingrédients nécessaires.

Les boîtiers télé des anciens abonnés du câble de Kuppu Kumara Velu entassés dans un couloir de son domicile, à New Delhi, le 13 novembre 2021.  ISHAN TANKHA POUR « LE MONDE »

En dépit de leurs efforts, Kuppu Kumara Velu et son épouse n’ont eu d’autre choix que de s’endetter pour leur survie. Au total, ils ont déjà emprunté plus de 2 000 euros. Une somme qui leur a permis de maintenir l’entreprise à flot mais aussi de réaliser des achats de première nécessité. En plus de son bracelet en or, Kuppu Kumara Velu a également obtenu deux autres prêts contre un collier et une chaîne en or. Selon la banque centrale indienne, les organismes de crédit ont accordé plus de 64 milliards de dollars de prêts (56,6 milliards d’euros) contre des bijoux en or au cours des huit premiers mois de l’année, soit un bond de 74 % par rapport à l’année 2020 sur la même période.

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