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En Centrafrique, une Minusca prolongée mais affaiblie

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Des casques bleus rwandais de la Minusca, à Bangassou, le 3 février 2021. ALEXIS HUGUET / AFP

En République centrafricaine, les crises se succèdent, la Minusca demeure. En dépit des pressions locales, internationales et de son impopularité pour n’avoir pas pu éteindre la guerre civile déclenchée en 2012, le Conseil de sécurité de l’ONU a renouvelé pour un an, vendredi 12 novembre, le mandat de la mission des Nations unies en Centrafrique.

Quelques jours plus tôt, le 1er novembre, dix casques bleus égyptiens avaient été blessés par des tirs de la garde présidentielle à proximité de la résidence du chef de l’Etat, Faustin-Archange Touadéra. Le lendemain, la ministre des affaires étrangères, Sylvie Baïpo Témon, publiait un communiqué accusant le bus des casques bleus d’avoir tué une jeune fille et appelait à renégocier les accords de siège passés avec les Nations unies afin d’obtenir davantage de contrôle sur les allées et venues des personnels onusiens.

La Minusca est un bouc émissaire idéal, certes, mais sa mauvaise réputation n’est pas toujours usurpée. Dernier scandale en date, la justice portugaise a révélé le 8 novembre qu’elle soupçonnait plusieurs membres des forces spéciales portugaises – l’élite de la mission onusienne et son seul contingent à disposer des moyens d’une armée occidentale – de s’être livrés à un trafic de diamants pendant leur déploiement entre 2018 et 2019.

Le naufrage de l’opération « Sukula »

Depuis son arrivée dans le pays, en 2014, puis la fin de l’opération militaire française « Sangaris », en 2016, la Minusca, forte de 14 275 casques bleus, assure une sécurité relative, favorise le dialogue entre les parties, construit des ponts et rénove des bâtiments publics. Elle appuie aussi le redéploiement des fonctionnaires et l’organisation des élections. Malgré tout, il est difficile de trouver un Centrafricain qui n’exprime pas son exaspération face à la passivité de certains contingents.

La lourde machine onusienne est jugée incapable de s’adapter aux réalités d’un terrain mouvant et éminemment complexe : les Centrafricains n’ont pas oublié le naufrage de l’opération « Sukula », en 2018, au cours de laquelle la Minusca avait tenté de s’attaquer frontalement aux groupes d’autodéfense à dominante musulmane du quartier PK5, à Bangui. Une opération instrumentalisée par ces gangs, qui l’avaient présentée comme une attaque contre les musulmans, replongeant la capitale dans de violents affrontements communautaires.

Aujourd’hui encore, la Minusca est chargée de « faciliter » l’accord de paix moribond de Khartoum signé en 2019 entre le gouvernement et quatorze groupes armés qui ont rivalisé de mauvaise foi dans l’application du texte – les principaux signataires sont depuis décembre en rébellion ouverte. Le mandat délivré par le Conseil de sécurité lui avait également demandé d’« appuyer » l’organisation des élections présidentielle et législatives de décembre 2020, sans prévoir que les rebelles lanceraient leur offensive quelques jours avant le scrutin, empêchant les deux tiers des électeurs d’accéder aux bureaux de vote dans les fiefs de l’opposition.

Le président Touadéra a été réélu de justesse au premier tour avec 53 % des voix et malgré des accusations de fraudes massives. « On a l’impression qu’il n’y en a que pour le président et les groupes armés, qu’on ne sert à rien et que la démocratie ne sert à rien. C’est une erreur à rectifier », juge Anicet-Georges Dologuélé, arrivé deuxième à la présidentielle.

Les nouveaux alliés russes de Bangui

L’offensive rebelle a provoqué l’envoi en renfort de plusieurs centaines de paramilitaires du groupe russe Wagner, venus au secours du pouvoir dans le cadre d’un accord de défense bilatéral. De nouveaux alliés jugés indispensables par le régime et avec lesquels les Nations unies ont collaboré – bien que la Minusca le réfute – , suscitant d’importantes tensions en interne, en dépit de rapports de ses propres agents et d’organisations des droits humains sur les exactions qu’auraient commises les membres de cette société privée liée à un proche du Kremlin et dont l’existence fait l’objet d’un déni de la diplomatie russe. Ulcéré, le gouvernement centrafricain évoque de simples « allégations », en attendant les conclusions d’une commission d’enquête nationale.

Les journalistes et les organisations des droits humains n’ayant pratiquement plus accès aux zones de conflit, la Minusca est la seule encore capable d’appuyer des enquêtes ou de protéger des témoins. Elle est ainsi devenue la cible favorite des trolls pro-russes. Des manifestations sont régulièrement orchestrées devant ses bases. Les incidents avec les forces alliées se sont multipliés sur le terrain. Les rapports onusiens font état de véhicules fouillés, de patrouilles empêchées, de menaces verbales et physiques… L’efficacité de la mission s’en est trouvée amoindrie : selon plusieurs sources internes, elle reçoit moins d’informations et se déplace moins facilement dans certaines zones sensibles.

Face à ces pressions, la Minusca dispose d’une marge de manœuvre réduite. Le Conseil de sécurité est divisé. Certains donateurs occidentaux, France en tête, s’agacent de l’emprise des mercenaires russes et souhaiteraient plus de conditions à l’aide au développement. Mais la Russie et la Chine suivent la ligne du gouvernement centrafricain et se sont abstenues de voter le renouvellement du mandat.

« Le pays n’a pas accès à ses ressources »

Au téléphone, Sylvie Baïpo Témon assume une diplomatie « franche ». Elle se défend de tout acharnement contre la Minusca, balaye les accusations d’ingérence russe et argue d’un problème de définition des priorités. « On exige du gouvernement d’avoir une bonne gouvernance, d’assurer la traçabilité des armes, de promouvoir les femmes… Tout cela est réalisable dans un cadre de vie classique, mais la Centrafrique n’en est pas encore là, assure cette ancienne analyste financière de la BNP. Le pays n’a pas accès à ses ressources, qui sont aux mains des groupes armés. Le premier enjeu, c’est la stabilité et la sécurité. »

En la matière, le pouvoir ne semble faire confiance qu’à ses nouveaux alliés. Malgré les pressions internationales et celles de l’Angola, médiateur régional qui le pousse à la négociation avec l’ex-président François Bozizé (désormais installé à N’Djamena, au Tchad), le gouvernement refuse de dialogue avec les leaders des groupes armés, qui préparent déjà une nouvelle offensive pour la saison sèche. Mardi, onze civils ont encore été tués au cours d’affrontement entre forces gouvernementales et rebelles, selon l’AFP. La plupart des acteurs internationaux et nationaux s’accordent à dire que la présence dissuasive des casques bleus reste l’un des seuls verrous qui empêchent le pays de sombrer dans le chaos à court terme.

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