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Au Liban, la crise brise le tabou du suicide

Par Laure Stephan

Publié aujourd’hui à 01h28, mis à jour à 07h01

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ReportageAvec l’apocalypse que connaît le Liban, les suicides sont devenus plus visibles, mais le tabou des troubles mentaux persiste.

Accompagnée de son cousin Ahmad, Ranim arrose les iris autour de la tombe de son père, dans le cimetière d’Ersal, une bourgade libanaise à la frontière avec la Syrie. Chaque semaine, la fillette de sept ans vient s’y recueillir. Son père, Ali Fliti, s’est pendu en décembre 2019, à l’arrière de la maison familiale. « Ranim est forte. Elle fait face. Mais elle pense sans cesse à lui. Chaque matin et chaque soir, elle s’adresse à lui », confie Tahani, sa mère. L’enfant ne perd pas une miette de la conversation, mais garde le silence.

Travailleur dans la pierre d’ornement, Ali avait 42 ans lorsqu’il s’est donné la mort. Il a été enterré selon le rite islamique, bien que le suicide soit condamné religieusement, chez les musulmans comme chez les chrétiens. « D’ordinaire, dans l’islam, on ne prie pas sur la dépouille d’une personne qui s’est suicidée. Mais Ali est un martyr de la pauvreté », explique sa veuve. Son geste, au début de l’effondrement financier de 2019, avait suscité une onde de choc à travers le pays. Ali Fliti est passé à la postérité sous le prénom de Naji, celui qu’il portait sur sa carte d’identité. Il avait été perçu comme une incarnation du désespoir des Libanais, au moment où leurs repères commençaient à s’effacer. Il symbolisait le refus de l’humiliation de la part de ce père de famille qui n’arrivait plus à subvenir aux besoins des siens.

La sœur et la fille d’Ali Fliti se recueillent sur sa tombe, à Ersal, au Liban, le 27 avril 2021. RAFAEL YAGHOBZADEH POUR « LE MONDE »

Des mois noirs se sont écoulés au Liban depuis la disparition d’Ali Fliti : abysse financier et économique, pandémie de Covid-19, explosion au port de Beyrouth… Le naufrage de la société se poursuit, sans qu’aucun plan de sortie de crise soit mis en œuvre par la classe politique – dont une partie fut longtemps soutenue par les Occidentaux et les pays du Golfe – et dans un contexte d’intenses négociations géopolitiques dans la région. La monnaie locale continue de plonger, ce qui se couple à une hyperinflation, et les pénuries de biens essentiels s’aggravent.

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Guerre, dettes et instabilité

La maison de la famille Fliti est accrochée, au bout d’une rue en pente, sur les flancs de la montagne qui surplombe Ersal, une localité de plus de 90 000 habitants (dont une majorité de réfugiés syriens) connue pour ses carrières de pierre, ses cerises, ses abricots et son trafic frontalier. La salle de séjour est dépouillée ; le portrait du défunt a été barré d’un ruban noir. La veuve d’Ali se souvient de quelques jours d’insouciance, comme leur rencontre puis leur mariage en 2006, mais ils ont peu duré. Peu de temps après, Tahani apprend qu’elle a un cancer. S’ensuivent des années de traitements et de dépenses médicales coûteuses.

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