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« Qui va payer pour un paysan sahélien ? » : au Burkina Faso, au Mali, au Niger, les otages oubliés

Par Morgane Le Cam et Sophie Douce

Publié aujourd’hui à 01h48

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ReportageAu Sahel, les enlèvements par des groupes djihadistes ne concernent pas seulement des Occidentaux. De nombreux « nationaux », parfois de simples villageois, en sont également victimes, dans un climat de terreur grandissant.

Souvent, Lamoussa compose le numéro de téléphone de son cousin. Il prie pour entendre une sonnerie, une voix, mais il se heurte à ce message automatique qu’il connaît désormais par cœur : « La ligne n’est plus en service. » Et ses larmes coulent. Deux ans qu’il est sans nouvelles de Joël Yougbaré, disparu le 17 mars 2019, au Burkina Faso. Ce matin-là, ce prêtre de 44 ans était parti célébrer une messe à Bottogui, un village du nord. Il n’est jamais revenu. Les opérations de ratissage n’ont duré que quelques jours, sans résultat. Joël Yougbaré a bel et bien disparu, probablement enlevé par des individus armés.

Au Sahel, où les attaques djihadistes et les violences des milices communautaires ont tué plus de 2 400 civils en 2020, de telles prises d’otage font partie du quotidien. Au-delà des six Occidentaux détenus au Sahel, dont le journaliste français Olivier Dubois, kidnappé début avril dans le nord du Mali par le Groupe de soutien de l’islam et des musulmans, affilié à Al-Qaida, plus de 300 « nationaux » ont été enlevés au Burkina Faso, au Mali et au Niger depuis 2016, selon l’ONG Acled. Mais de ces captifs sahéliens, on parle peu. Faute de statistiques officielles, il est difficile d’estimer combien sont encore détenus, ont été exécutés ou libérés.

La peur des représailles

Assis à l’ombre d’un margousier, dans un bar de rue de Ouagadougou, la capitale burkinabée, Lamoussa jongle entre passé et présent. Il ne sait plus quel temps employer pour évoquer son cousin Joël. Est-il mort ou vivant ? « Si au moins on retrouvait son corps, on pourrait faire le deuil », souffle le cultivateur. Dans ce contexte, l’incertitude ronge toute la famille. La mère ne parle plus, le père a pensé au suicide. Lamoussa, lui, a voulu mener l’enquête, mais, face à l’absence de piste, il a dû se résigner. « Que faire ? Vers qui se tourner ? Le gouvernement l’a abandonné. » Dans son portefeuille, il garde un bout de papier : la date de la disparition, griffonnée en lettres noires. « Pour ne pas oublier. » Au fond de lui, il reste convaincu que « Joël vit toujours » quelque part, prisonnier des dunes sahéliennes. Deux anciens otages, relâchés en 2020, assurent avoir été détenus avec lui, au Mali, selon l’un d’eux. « Il était connu dans la zone, il a certainement été enlevé pour sa religion », affirme Laurent Dabiré, l’évêque du diocèse de Dori.

Au Burkina Faso, nombre de familles concernées ont peur de témoigner et d’alerter les autorités. Craignant des représailles des ravisseurs ou l’exécution de leur parent séquestré, elles préfèrent se taire et attendre « un signe », gardant l’espoir d’une libération. Cette loi du silence, les terroristes l’imposent aussi à leurs anciens détenus, une fois libérés. François, par exemple, un homme d’une quarantaine d’années, employé dans une ONG internationale.

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