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La lutte contre la précarité menstruelle, “une question de santé publique”

Selon le premier baromètre de l’association Règles élémentaires, publié vendredi à l’occasion de la Journée internationale de l’hygiène menstruelle, 20 % des femmes adultes ont déjà été confrontées à la précarité menstruelle en France. Alors que la question semble peu à peu s’inviter dans le débat public, les associations saluent de nombreuses avancées. 

Se priver de manger pour acheter un paquet de protections périodiques, se forcer à les garder le plus longtemps possible pour les économiser… En France, près de deux millions de femmes sont touchées par la précarité menstruelle, c’est-à-dire la difficulté voire l’impossibilité de se procurer des protections hygiéniques par manque de moyens financiers. 

Vendredi 28 mai, à l’occasion de la Journée mondiale de l’hygiène menstruelle, l’association Règles élémentaires, pionnière dans ce combat depuis 2015, publie une étude inédite sur la question. Selon ce baromètre, réalisé auprès de 1001 personnes représentatives de la population française, 20 % des femmes adultes y ont déjà été confrontées, soit directement, soit via une connaissance.

« Notre premier constat, face à cette étude, c’est que la précarité menstruelle concerne tout le monde », réagit Laura Pajot, responsable de la communication de l’association auprès de France 24. Depuis sa création, l’association a collecté et redistribué près de 5 millions de produits qui ont bénéficié à plus de 115 000 femmes.

En moyenne, une femme – ou personne transgenre ou non binaire menstruée, a ses règles 450 fois dans sa vie. Au total, elle utilisera environ 10 000 protections hygiéniques à usage unique ou multipliera les protections réutilisables, pour un budget moyen de 8 000 euros.

Faute de moyens, des adolescents et des femmes sont obligées de recourir au système D. « Elles se retrouvent à utiliser du papier journal ou des vieux draps. D’autres nous ont raconté avoir utilisé des bouteilles en plastique pour faire un cup de fortune… », raconte à France 24 Clarisse Philipot, vice-présidente de l’association Règlez-moi ça !, qui lutte contre ce fléau.

« Ce n’est pas qu’une question de féminisme, ni même d’égalité des genres. C’est avant tout une question de santé publique », martèle-t-elle. « Utiliser ces protections de fortune augmente considérablement le risque d’infection ou de maladies et, dans les pires des cas, de choc toxique. »

À ce risque pour la santé, s’ajoutent bien souvent des conséquences psychologiques. « Les femmes concernées ressentent souvent beaucoup de gêne et de honte. Cela peut être un facteur d’exclusion et d’isolation sociale. »

Un enjeu de santé publique

Un deuxième constat ressort de l’étude menée par l’association Règles élémentaires : la question de la précarité menstruelle est de mieux en mieux connue. Si 53 % expliquent ne pas savoir de quoi il s’agit précisément, 70 % des personnes interrogées assurent en avoir déjà entendu parler. 

« Lorsque l’association a été créée en 2015, personne ne savait ce que c’était que la précarité menstruelle. Il y a eu un grand réveil des consciences », salue Laura Pajot. « Aujourd’hui, 76 % des personnes interrogées considèrent que la précarité menstruelle est un sujet de santé publique, c’est énorme ! »

Un constat partagé par l’association Réglez-moi ça ! « Depuis quelque temps, on assiste à une libération de la parole sur la question », assure Clarisse Philipot. « Récemment, un collégien m’a expliqué avoir entendu parler de précarité menstruelle en classe. Cela aurait été inimaginable avant ! »

Et du côté de l’opinion publique, les avis semblent unanimes. Selon le baromètre, ils sont 86 % à être « favorables » à la mise à disposition de protections d’hygiène intime gratuites pour les personnes qui en ont besoin. Certains vont même plus loin, appelant à la mise à disposition de protections d’hygiène intime gratuites au sein de toutes les structures publiques (76 %) ou à l’installation de distributeurs de protections d’hygiène intime dans la rue et dans les transports (70 %).

Face à cet enthousiasme de la population, la question de la précarité menstruelle devient un véritable enjeu politique. Vendredi, dans le sillage de la Journée mondiale et à l’approche des élections régionales, de nombreuses personnalités politiques se sont ainsi exprimées sur les réseaux sociaux, montrant leur prise de conscience sur la question. De son côté, le collectif Réglez-moi ça ! signe une tribune dans Libération appelant les différents candidats aux élections régionales à s’engager dans ce combat. 

« Les règles ne doivent plus être un tabou : c’est un sujet politique ! », a notamment martelé Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la Citoyenneté, défendant dans le même temps le bilan d’Emmanuel Macron sur la question.

Les règles ne doivent plus être un tabou : c’est un sujet politique ! Depuis 2017, la lutte contre la précarité menstruelle, c’est même une priorité [THREAD] #Journéehygiènemenstruelle

— MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) May 28, 2021

De nombreuses avancées en 2020

« Il est vrai que l’année 2020 a été marquée par de belles victoires », reconnaît Laura Pajot. Le gouvernement d’Emmanuel Macron avait d’abord annoncé allouer un million d’euros à l’expérimentation de la distribution gratuite de protections hygiéniques. 

Puis, en décembre 2020, le chef de l’État a fait un pas supplémentaire, annonçant des mesures concrètes pour lutter contre la précarité menstruelle lors d’une interview sur le média en ligne Brut. Parmi elles, notamment, la mise en place de distribution de protections périodiques dans les prisons pour femmes.

« C’était aussi la première fois qu’un président parlait des règles en direct, à une heure de grande écoute. Symboliquement, c’est fort », félicite Laura Pajot. Dans la foulée de cette allocution, le budget d’un million d’euros a été revu à la hausse pour s’établir à 5 millions d’euros pour 2021.

En février, une enquête de la Fédération des associations générales étudiantes dévoilait, par ailleurs, qu’un tiers des étudiantes peinent à financer leurs protections hygiéniques. En réponse, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, a promis de mettre en place des distributeurs de protections dans toutes les universités dès la rentrée 2021. 

Enfin, dernière initiative en date, « Jean-Michel Blanquer a annoncé, jeudi, que des distributeurs de protections seraient désormais disponibles dans les établissements scolaires de cinq départements – les Landes, les Alpes-Maritimes, la Réunion, les Ardennes, la Seine-Saint-Denis -, contre un auparavant », finit d’énumérer Laura Pajot, qui rappelle que « 130 000 jeunes filles ratent l’école chaque année parce qu’elles n’ont pas de quoi se protéger correctement ».

Malgré ces avancées, 61 % des personnes interrogées par Règles élémentaires estiment que les pouvoirs publics jouent encore un rôle insuffisant dans la lutte contre la précarité menstruelle. 

Ces mesures paraissent en effet encore limitées face à ce qu’a mis en place l’Écosse. Dès 2018, le pays avait initié la distribution de protections hygiéniques dans les écoles et universités. En nombre, il a voté une loi inédite donnant un accès gratuit et universel aux protections périodiques. 

La fin du tabou des règles ? 

Pour les deux associations, cette prise de conscience et ses avancées vont de pair avec une libération plus globale de la parole sur les règles. « Les mentalités commencent à changer, à se libérer de ce tabou », saluent-elles de concert. « Mais il reste encore un long chemin à faire. »

« Le meilleur exemple de cela, c’est certainement les publicités », explique Clarisse Philipot. « Fini le sang bleu ! », dit-elle en riant. En 2018, la marque de protections hygiéniques Nana avait en effet provoqué la polémique en diffusant une publicité dans laquelle le sang des règles apparaissait rouge. Une première. Jusqu’alors, toutes les publicités représentaient le sang menstruel par un liquide bleu. Le spot de Nana affichait par ailleurs pour slogan « Les règles c’est normal, les montrer devrait l’être aussi ». 

« Les réseaux sociaux ont aussi certainement joué un rôle majeur », analyse-t-elle. Des opérations de sensibilisation se sont effectivement multipliées sur différentes plateformes ces dernières années, à l’image de la campagne #respecteznosrègles de l’ONG Care France et le collectif féministe « Les Nanas d’Paname ». Une dizaine de femmes posaient habillées en blanc, avec une tache de sang bien visible au niveau de leur culotte. 

« Le processus est cependant très lent », nuance Laura Pajot. « 57 % des répondants estiment toujours que les règles sont un sujet tabou dans la société et au moins 47 % des répondants n’ont pas entendu parler des règles avant la puberté. » La militante note, par exemple, que le monde du travail reste encore très fermé. Si 44 % des femmes assurent avoir déjà raté une journée de travail à cause de leurs règles, 68 % considèrent que le sujet est tabou dans les entreprises. 

« Généraliser cette gratuité »

Aujourd’hui, les deux associations appellent à « poursuivre sur cette lancée » et à « généraliser les initiatives ». 

« Ces dernières années, énormément d’initiatives locales se sont mises en place », rappelle Laura Pajot, citant l’exemple de l’université de Rennes ou de la Sorbonne qui avaient mis en place d’elles-mêmes des distributeurs de protections périodiques. « Nous sommes ravis que ces initiatives locales soient bientôt généralisées à l’échelle nationale ». « Désormais, il faut faire la même chose pour l’ensemble des établissements scolaires et ne pas se cantonner à cinq départements », poursuit-elle. 

Et pour la militante de conclure : « il faut mettre en place la gratuité des protections hygiéniques dans tous les lieux clés accueillant du public en situation de fragilité et installer un maximum de distributeurs. Non seulement c’est ainsi que nous lutterons contre la précarité menstruelle, mais aussi que nous rendrons les règles visibles et briserons une bonne fois pour toute ce tabou ». 

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