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« Certains ont été exécutés à bout portant » : l’armée malienne de nouveau accusée d’exactions

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Des militaires maliens lors du 60e anniversaire de l’indépendance du Mali, à Bamako, le 22 septembre 2020. Des militaires maliens lors du 60e anniversaire de l’indépendance du Mali, à Bamako, le 22 septembre 2020.

C’est un rapport qui embarrasse l’armée et les autorités maliennes. Mardi 20 avril, Human Rights Watch (HRW) a lancé une nouvelle série d’accusations visant des soldats maliens qui, depuis le début de la guerre en 2012, sont régulièrement mis en cause mais rarement punis. Selon le rapport de l’ONG de défense des droits humains, des militaires auraient tué au moins 34 villageois et en auraient fait disparaître au moins seize autres lors d’opérations antiterroristes menées entre octobre et mars dernier dans la région de Mopti.

Ces dernières années, le centre du Mali est devenu l’épicentre de l’insécurité dans ce pays du Sahel qui voit les djihadistes étendre leur emprise et descendre vers le sud. Face à eux, l’armée malienne manque de tout (argent, équipement, formation), subit des pertes de plus en plus lourdes et se révèle incapable d’engranger de réelles victoires sur le terrain. Dans ce contexte, les exactions des soldats envers les civils se multiplient. Entre 2017 et 2020, 535 civils auraient été tués au Mali par les forces de sécurité, selon l’ONG Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled). Les témoignages des citoyens s’accumulent et sont glaçants.

« Les militaires ont fait entrer les hommes dans un magasin abandonné… Un [militaire] qui avait pris position à l’entrée a ouvert le feu. Ils gisaient là, en train de mourir dans un bain de sang », a raconté un habitant de Libé à HRW. Le 22 octobre, ce village du cercle de Bankass serait devenu la cible de sa propre armée, alors en opération antiterroriste. « Ils ont tué des gens pendant qu’ils couraient. Certains ont été exécutés à bout portant, d’autres écrasés par des véhicules de l’armée, d’autres brûlés vifs à l’intérieur de leurs maisons », affirme un témoin cité dans le rapport. Les survivants disent avoir enterré 24 personnes dans dix tombes. Parmi elles, trois femmes et deux enfants.

Lorsque l’affaire a été publiquement dénoncée, les autorités s’étaient insurgées contre cette « propagande », « marque de fabrique terroriste » « dont le seul objectif est de vouloir saper le moral des FAMA [forces armées maliennes] », selon un communiqué de l’armée publié en octobre et qui promettait de poursuivre les auteurs de ces « allégations mensongères ». Depuis, les autorités ont revu leur copie, laissant davantage de place au doute. « Les jugements rendus permettront de dire s’il y a eu bavure », souligne le colonel Souleymane Dembélé, directeur de l’information et des relations publiques des armées. Selon lui, une procédure judiciaire a été ouverte et des soldats ont été entendus.

Fosse commune

Sur le terrain, des enquêtes menées par la gendarmerie seraient en cours pour les sept affaires d’exactions présumées dénoncées par le rapport de HRW. Mais à Libé, des membres de la famille des victimes ont affirmé n’avoir pas encore été contactés.

Pour Corinne Dufka, directrice de HRW pour le Sahel, « promettre d’enquêter sur les abus est une étape positive, mais le gouvernement malien n’a pas tenu de nombreux engagements antérieurs de ce type ». Entre 2016 et 2018, les autorités (renversées par un coup d’Etat en août 2020) avaient annoncé l’ouverture de sept enquêtes visant des membres des forces de défense et de sécurité accusés d’avoir tué plus de 100 civils. Mais les conclusions d’une seule d’entre elles avaient été rendues publiques. Elle concernait la découverte d’une fosse commune contenant sept corps à Sokolo (centre). Des soldats avaient été accusés. Sommairement, le gouvernement avait alors conclu que les sept hommes enterrés avaient été tués « lors de combats dans la région ».

Dans le centre du Mali, les djihadistes, surtout affiliés à la katiba du prédicateur peul Amadou Koufa, un des dirigeants du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), tuent de plus en plus de soldats – une soixantaine entre octobre et avril, selon Acled. Les exactions présumées de la part des forces de sécurité, elles, ont continué. Selon la même source, une cinquantaine de citoyens auraient été tués dans la région par des soldats pourtant censés les protéger d’un ennemi qui, lui, est tenu pour responsable de la mort de 90 civils entre octobre et avril.

Au fil des exactions, les villageois perdent le peu de confiance qu’il leur restait envers un Etat peu présent et considéré comme plus prédateur que protecteur. « Les exactions et l’impunité poussent de plus en plus de Maliens dans les bras des djihadistes. C’est un des principaux arguments qu’ils utilisent pour recruter », souligne Corinne Dufka.

Dans le village de Sokoura, le 11 janvier, Boukary et Mamadou auraient paniqué en voyant passer un convoi militaire. « Boukary s’est mis à courir, grimpant à un grand arbre. Les soldats lui ont couru après, ouvrant le feu. Boukary est tombé, mort, comme un oiseau », raconte un témoin interrogé par HRW. Son corps aurait été jeté dans un véhicule militaire. Mamadou, lui, aurait été embarqué par les soldats. Deux témoins ont ensuite raconté avoir vu leurs corps à l’extérieur du camp de la garde nationale. « Les mains d’un homme, identifié par les témoins comme étant Mamadou, étaient liées derrière le dos et sa tête ensanglantée et en partie broyée », dit le rapport.

Présumés coupables

Le 18 mars, c’est un convoi de soldats qui a été victime d’un engin explosif improvisé à Boni. Un de plus dans une zone de plus en plus minée par un ennemi quasi invisible. Bilan : un mort et un blessé. Roulant derrière eux, Boucary et Salmane ont été sommés de s’arrêter. Ils auraient été « exécutés à bout portant » par des soldats, sans qu’on leur pose de questions – ils étaient présumés coupables. Des membres de la famille des deux trentenaires, arrivés auprès des corps pour les inhumer, affirment quant à eux avoir été « passés à tabac » par les soldats et dépouillés. « Ils ont volé nos téléphones, huit motos et de l’argent », a relaté l’un d’entre eux.

« Les auteurs de telles violations des lois de la guerre peuvent être poursuivis pour crimes de guerre », souligne le rapport. En juin 2020, la commission d’enquête internationale pour le Mali, établie en 2018 par l’ONU, avait estimé avoir recueilli « des motifs raisonnables de croire » que l’armée avait « commis des crimes de guerre » entre 2012 et 2018. Dans son rapport de 350 pages, les méthodes décrites (tortures, disparitions forcées, exécutions sommaires) sont les mêmes que celles détaillées dans celui de HRW.

« Au Mali, la plupart des terroristes ne sont pas des étrangers. Ce sont des Maliens que l’armée côtoie tous les jours. Ça rend la tâche des soldats difficile pour distinguer le terroriste de celui qui ne l’est pas. Le matin, certains sont djihadistes et attaquent les FAMA, le soir ils se transforment en simples citoyens et retournent se coucher paisiblement dans le village. Ça crée des amalgames », reconnaît le colonel Dembélé.

Au moins dix procédures judiciaires ont été lancées depuis le début de l’année par la justice militaire, selon le dernier rapport de l’ONU sur la situation au Mali. Certains officiers, sous-officiers et militaires de rang attendraient leur jugement derrière les barreaux, selon la direction de la communication de l’armée. Mais pour l’heure, les seuls jugements rendus par le tribunal militaire mis en place en 2020 concernent des affaires délictuelles.

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