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Racisme aux États-Unis : espoirs et incertitudes sur le “tournant” annoncé par l’affaire George Floyd

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Le verdict dans le procès de Derek Chauvin, mardi, a été largement salué aux États-Unis, en particulier par le président Joe Biden. Il replace la question de la lutte contre le racisme au centre du débat politique et médiatique. Mais pour combien de temps ?

« Un tournant dans l’Histoire », a réagi Ben Crump, l’avocat de la famille Floyd, mardi 20 avril, à l’annonce du verdict dans l’affaire George Floyd. Une décision qui peut être le moment d’un « changement significatif », a déclaré le président américain, Joe Biden, appelant l’Amérique à lutter contre le racisme qui « entache » son âme.

Les réactions au verdict du procès de Derek Chauvin ont été unanimes pour souligner le caractère historique et symbolique de cette décision. Après une année marquée par les manifestations et le mouvement Black Lives Matter, la décision du jury était particulièrement attendue aux États-Unis et à travers le monde. L’affaire George Floyd symbolise à elle seule le problème des violences policières et le racisme systémique, selon les mots de Joe Biden, existant aux États-Unis.

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Il n’a donc pas été surprenant de voir se mêler au flot d’émotions suscitées par l’annonce de la culpabilité de l’ex-policier les promesses d’une Amérique délivrée de ses démons du passé. « L’heure est venue pour ce pays de se rassembler », a estimé Joe Biden. « Nous devons encore réformer le système », a affirmé sa vice-présidente, Kamala Harris. « On ne peut pas s’arrêter là », a quant à lui écrit Barack Obama dans un communiqué, appelant à poursuivre « le combat » pour lutter contre le racisme et les violences policières, car « si nous sommes honnêtes », a-t-il ajouté, « nous savons que la vraie justice va bien plus loin qu’un seul verdict dans un seul procès ».


Cet élan d’enthousiasme sera-t-il suivi d’effets ? « Le racisme aux États-Unis, c’est un peu un serpent de mer, au même titre que le débat sur les armes à feu », souligne Claire Bourhis-Mariotti, maître de conférence en histoire africaine-américaine à l’université Paris-8-Vincennes-Saint-Denis, contactée par France 24. « Il y a toujours de grandes déclarations lors de chaque tuerie de masse, à chaque fois on promet une réforme, mais personne n’a jamais réussi à s’y attaquer, poursuit-elle. Le racisme, c’est pareil. D’autres affaires ont aussi suscité beaucoup d’émotions. On se souvient de la mort de Michael Brown en 2014, ou encore celle de Trayvon Martin en 2012. ‘Il y a trente-cinq ans, j’aurais pu être Trayvon Martin’, avait dit Barack Obama. Il y a de quoi rester sceptique. »

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Il faudra d’abord attendre la condamnation précise de Derek Chauvin pour avoir la confirmation du caractère historique de ce jugement. « Les quelques policiers condamnés dans ce type d’affaire ont, en moyenne lors des quinze dernières années, écopé de 6,5 ans de prison ferme, rappelle Claire Bourhis-Mariotti. Si le verdict est trop léger vis-à-vis de l’ancien officier de Minneapolis, cela pourrait changer la donne et provoquer des réactions virulentes ». Par ailleurs, Derek Chauvin pourra bien évidemment faire appel du jugement, rendant ainsi possible une issue différente.

Réforme de la police

Au-delà du procès en lui-même, que peut réellement faire Joe Biden ? On se souvient que Barack Obama, premier président afro-américain de l’histoire des États-Unis, n’avait pas fait de la question raciale un enjeu de ses huit années de mandat, préférant se présenter comme « le président de tous les Américains » et non celui d’une minorité. Les affaires de policiers blancs tuant des individus noirs existaient pourtant déjà. Et une partie de la communauté noire lui a reproché de ne pas avoir fait assez pour lutter contre les inégalités raciales.

Alors vice-président, Joe Biden prendra-t-il ce dossier à bras-le-corps maintenant qu’il occupe le Bureau ovale ? Le contexte de son élection en 2020 – il avait rencontré la famille Floyd en pleine campagne électorale – et son aile gauche l’y incitent. Quatre décrets présidentiels ont rapidement été pris lors de son arrivée au pouvoir pour lutter contre le racisme, notamment en matière de discrimination au logement.

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Puis le projet de réforme de la police a été adopté le 4 mars par la Chambre des représentants. Baptisée « George Floyd Justice in Policing Act », cette réforme prévoit, entre autres, d’interdire les prises d’étranglement, de limiter les transferts d’équipements militaires aux forces de l’ordre et de créer un registre national des policiers licenciés pour abus. Elle s’attaque aussi à la large immunité dont jouissent les policiers en cas de poursuites au civil et prévoit la fin, pour les infractions liées aux stupéfiants, des mandats de perquisition permettant aux agents d’entrer sans frapper chez les suspects.

Le texte, qui doit maintenant être voté au Sénat, « n’effacera pas les siècles de racisme systémique » aux États-Unis, avait déclaré la présidente démocrate de la Chambre, Nancy Pelosi, avant son adoption. Mais il sera « un pas énorme » vers « la construction d’une relation meilleure, plus saine, entre la police et des communautés qu’elle respecte ».

Fossé économique entre Blancs et Noirs

Mais au-delà des violences policières, les inégalités économiques et sociales sont au cœur du problème racial existant outre-Atlantique. « Les États-Unis sont un pays gangréné par le racisme depuis l’époque de l’esclavage, juge Claire Bourhis-Mariotti. Et les Américains n’ont pas su intégrer les Noirs dans la société à la fin de la Guerre de sécession, créant d’importantes inégalités. C’est structurel et cette tendance sera difficile à inverser. »

Le Washington Post relevait, en juin 2020, que le fossé économique entre Noirs et Blancs était aussi important en 2020 qu’en 1968, année de l’assassinat de Martin Luther King. Ainsi, aux États-Unis, les Noirs sont dix fois plus pauvres que les Blancs, selon les chiffres de la Brookings Institution : la richesse médiane d’une famille blanche était, en 2016, de 171 000 dollars quand celle d’une famille noire était de 17 150 dollars. De même, le revenu médian annuel d’une famille blanche était, en 2018, de 70 642 dollars quand celui d’une famille noire était de 41 361 dollars.

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« Mettre fin au racisme systémique supposerait de mettre fin à la ségrégation résidentielle et de mettre le paquet sur l’éducation, tout en renforçant le système de sécurité sociale et le système judiciaire qui frappe plus durement les Noirs, estime Claire Bourhis-Mariotti. Or une telle politique demande énormément de moyens. »

Joe Biden aura-t-il la volonté et le capital politique pour faire en sorte que le verdict dans l’affaire George Floyd marque véritablement un tournant dans l’histoire des États-Unis ? « Il est temps d’agir parce que la foi et la morale l’imposent », parce que le racisme est « corrosif, destructeur et coûteux », déclarait-il le 26 janvier au moment de signer ses décrets pris pour lutter contre le racisme, tout en rappelant que cela « prendrait du temps ».

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