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Dominique Eddé : « Isoler le ­Liban du contexte régional pour réfléchir à sa survie est une négation pure et simple de la réalité »

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Tribune. L’explosion du 4 août dans le port de Beyrouth a sans doute fait moins de morts qu’on pouvait s’y attendre – 208 −, mais elle a semé la mort un peu partout. Dans l’air, dans les regards, dans la force de communiquer, de parler, d’écouter, dans l’envie même de se plaindre. Au-delà du nombre incalculable de blessés, de toits effondrés, de commerces soufflés, elle a porté le sentiment de l’humiliation à son comble. L’absence abyssale du pouvoir aux lendemains du désastre, son indifférence affichée ont fait l’effet d’une seconde explosion. Cette déflagration muette, sans image ni repères, a renfloué la stupeur. Le désarroi, la rage ont paralysé la population au lieu de la jeter dans les rues.

Il lui fallait non seulement soigner, reconstruire, réparer à mains nues, sans moyens, sans soutien, mais se masquer, se protéger du virus et apprendre à continuer alors que le passé flanchait. En a résulté une dose impressionnante de courage individuel, comme à chaque fois, mais aussi une énorme régression au plan de la contestation politique : sommées en toute logique de s’unir, les forces se sont au contraire divisées, atomisées. Il faut dire qu’outre la pandémie et la catastrophe économique et sociale, qui expose une partie importante de la population à la famine, la présence sur le territoire d’une force politique surarmée – celle du Hezbollah – rend quasi impossible la négociation d’un équilibre interne.

Justifier l’injustifiable

La clique au pouvoir – tous des hommes – incarne pour finir un phénomène qui ne répond à aucun mot : une forme informe et parfaitement opérationnelle de puissance indigente et d’impuissance satisfaite. Les six principaux chefs de clan libanais – deux chiites, deux maronites, un druze, un sunnite – ont fait fortune en vidant « équitablement » et sans état d’âme les caisses de l’Etat. Ils ont beau être à tour de rôle, et à des degrés divers, en désaccord sur presque tout, ils ont tous en commun d’être d’accord pour qu’aucun d’entre eux ne soit inquiété. Ils ont la même façon de s’agiter en coulisses et de faire le mort sur scène, le même mépris du mépris qu’ils inspirent.

Tous bénéficient de la couverture du confessionnalisme pour justifier l’injustifiable. C’est précisément là – à l’endroit du confessionnalisme − que réside la faillite politique du Liban et de la région tout entière. Cet équilibre des pouvoirs, conçu en 1920, avait une raison d’être lors de la chute de l’Empire ottoman. Il ne l’a plus un siècle plus tard. Aucune minorité ne sera protégée, à l’avenir, si elle ne s’inscrit pas dans un projet politique laïque. La non-séparation de l’appartenance religieuse et de l’exercice du pouvoir est une calamité. Elle compromet de facto la notion de citoyenneté, la cohésion sociale, la coexistence des différences, l’édification d’un Etat.

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