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« La Guinée équatoriale est un pays cassé »

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Des images de drone diffusées par une chaîne de télévision privée montrent des bâtiments endommagés après des explosions à Bata, en Guinée équatoriale, le 9 mars 2021. Des images de drone diffusées par une chaîne de télévision privée montrent des bâtiments endommagés après des explosions à Bata, en Guinée équatoriale, le 9 mars 2021.

Quatre puissantes explosions accidentelles survenues dimanche 7 mars dans un camp militaire situé à Bata, la capitale économique de Guinée équatoriale, ont fait une centaine de morts et plus de 600 blessés. Le président Teodoro Obiang Nguema, qui dirige sans partage ce petit Etat d’Afrique centrale depuis quarante-deux ans en s’appuyant notamment sur l’armée, a blâmé les militaires pour avoir stocké les explosifs si près de quartiers d’habitations.

Pour Ana Lucia Sa, spécialiste des régimes autoritaires en Afrique, professeure d’études africaines et directrice adjointe du département de science politique et de politique publique à l’Institut universitaire de Lisbonne (ISCTE), ce pays méconnu n’est pas près de changer de direction.

Que révèlent ces explosions sur l’état de la Guinée équatoriale ?

Cet accident en dit long sur le régime en place. Pour moi, c’est un signe de sa négligence et de son irresponsabilité. La caserne militaire où le drame a eu lieu est située dans un quartier très peuplé de Bata. Un Etat qui prendrait en compte la sécurité de ses habitants aurait stocké les explosifs dans un entrepôt loin de la ville. Mais dans un pays où la répression et la paranoïa sont aussi importantes, il est logique que les autorités souhaitent garder leurs munitions près d’elles et non dans une région reculée, pour éviter qu’elles soient volées ou tombent dans d’autres mains.

La Guinée équatoriale est un pays très fermé, pourtant les autorités ont rapidement reconnu la catastrophe et évoqué une erreur humaine plutôt que la piste terroriste ou celle d’un complot, comme on aurait pu l’attendre. Pourquoi ?

Tout d’abord, il n’y avait pour les autorités aucune base solide pour parler de complot, comme en 2004 ou en 2017 [deux tentatives de coup d’Etat manquées]. Elles n’avaient personne à accuser. Juste après l’accident, j’ai reçu les vidéos des explosions sur WhatsApp, et pourtant je ne suis pas en première ligne. Ces vidéos ont circulé très vite, il était impossible de les cacher, même pour un tel régime.

Certes, les autorités ont reconnu une erreur humaine, mais le président Obiang a blâmé des paysans [qui auraient mal maîtrisé un feu d’écobuage] et les militaires pour ne pas avoir pris soin du matériel. Il est immoral de jeter la faute sur eux. C’est le ministère de la défense qui aurait dû assumer la responsabilité. Mais pour le président Obiang, c’est une habitude d’accuser la population, surtout les plus fragiles : il y a quelques années, il avait reproché aux Equato-Guinéens d’être pauvres, ajoutant que c’était normal pour des Africains…

Ce blâme pour « imprudence » adressé aux militaires prépare-t-il une purge dans l’armée ? Le président chercherait-il à se débarrasser de certains gradés qui représenteraient pour lui une menace ?

Je ne pense pas, car l’armée est très étroitement contrôlée par le vice-président Teodorin Obiang, le fils du président. La défense a toujours été aux mains de la famille Obiang, et l’armée est fidèle au président et à sa famille. Elle l’est d’autant plus que la plupart des soldats sont des Fang, comme le président. Certes, les militaires équato-guinéens sont mal rémunérés, car il y a un manque de professionnalisme. On serait ainsi tenté de penser qu’ils pourraient finir par menacer le régime, comme cela s’est passé au Mali. Mais ce n’est pas le cas.

Le président Obiang a demandé de l’aide à la communauté internationale. Est-ce une manière de reconnaître qu’il n’y a pas les infrastructures nécessaires pour faire face à cette catastrophe ?

Il y a peu d’hôpitaux et les cliniques privées sont aux mains de la famille Obiang. En Guinée équatoriale, si vous tombez malade, vous devez vous procurer tout le nécessaire médical et votre famille devra vous apporter la nourriture. Les établissements publics ne peuvent pas faire face à un tel désastre.

Le pays traverse une crise économique à cause de la baisse des prix du pétrole. Et ses infrastructures sont insuffisantes, car tout le monde sait que l’argent du pétrole n’a pas été utilisé pour développer le pays mais pour enrichir la famille Obiang, avec la complicité des gouvernements occidentaux et du reste de la communauté internationale. Je me demande comment vont être enterrés les morts, comment seront soignés les blessés et comment l’aide internationale va atteindre la population.

Le régime a muselé l’opposition et opprimé le peuple. Mais désormais, s’il veut politiquement survivre, il a besoin de l’aide de la communauté internationale. C’est sans doute pour cela que les autorités ont fait preuve de transparence dans le nombre de morts. La Guinée équatoriale n’est pas Cuba ou la Corée du Nord, elle ne peut pas résister toute seule dans son coin.

Cet accident peut-il ébranler le régime de Teodoro Obiang ? Le président doit-il s’inquiéter d’une révolte populaire ?

Je ne le pense pas, il n’y a aucun signe de révolte de la part de la population. D’ailleurs, le pays a connu peu de soulèvements ou de manifestations populaires, en raison de la nature répressive du régime. Il y a eu une grève des taxis en 2017, mais personne n’a demandé le départ du président ou un changement politique. Et le régime survit aussi grâce à la communauté internationale. Quand il organise des élections, celles-ci sont avalisées par les observateurs internationaux comme l’Union africaine.

Qu’est-ce qui pourrait entraîner un changement dans le pays ?

Même si la famille Obiang quittait les affaires, je ne sais pas comment la Guinée équatoriale pourrait sortir de la crise. C’est un pays cassé et c’est compréhensible. Le pays a été colonisé par l’Espagne franquiste, et le régime brutal de Francisco Macias Nguema [1968-1979], le premier président à l’indépendance, en a été l’héritage. La communauté internationale n’a jamais porté une quelconque attention à cette nation. La Guinée équatoriale reste méconnue. Il y a des dissidents et des opposants qui vivent et opèrent dans le pays dans les conditions les plus difficiles. Beaucoup vivent en exil. Des propositions pour démocratiser le pays sont faites aussi par des gens de la société civile, mais il n’y a pas d’espace de dialogue. Le peuple est livré à lui-même et il sait qui est le patron.

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