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Covid-19: combien « coûte » une vie sauvée?

A l’heure où un nouveau reconfinement se profile, où les restaurateurs désespèrent, les commerçants angoissent, les jeunes ne trouvent pas d’emploi, les pauvres se multiplient, où le déficit public plonge et les plans sociaux et faillites en série menacent, une question revient : « Est-ce que ça vaut le coup ? »  Et d’aucuns de rappeler que, au temps pourtant autrement plus faste des Trente Glorieuses, la grippe asiatique a causé en France jusqu’à 100.000 morts et celle de Hong-Kong, en 1968-1969 près de 40.000 morts sans que les pouvoirs publics n’envisagent un instant de mettre l’économie à l’arrêt. Ou que le tabac tue silencieusement 75.000 personnes tous les ans dans l’Hexagone sans qu’on songe à interdire la cigarette. Sans compter que, des études l’ont montré, la crise économique tue aussi.

Mais là, terrifiées par ce coronavirus inconnu, nos sociétés capitalistes modernes ont sacrifié leurs intérêts économiques pour protéger leurs populations « quoi qu’il en coûte ». Sans débat. Certes, il semblerait éthiquement bien dérangeant de mettre face à face le coût humain de la pandémie et le coût économique de la lutte contre la pandémie. Ne dit-on pas que la vie n’a pas de prix ? Pourtant, l’estimation de la « valeur statistique de la vie humaine », selon le terme consacré, est

bien un objet d’étude et s’avère même un outil d’aide à la décision indispensable. Les pouvoirs publics en ont besoin pour allouer des ressources forcément limitées. Par exemple, engager une dizaine de millions dans la construction d’un pont pour remplacer un passage-à-niveau ne se justifie que si cela permet d’éviter « suffisamment » d’accidents mortels. Et la Sécurité sociale, dans le rouge, doit-elle rembourser des médicaments très onéreux s’ils ne guérissent que quelques patients atteints d’une pathologie rare, ou ne permettent que de prolonger un peu la vie de malades incurables ?

Pour l’Etat, une vie= 3 millions

En 2013, l’Etat a commandé une étude au Commissariat à la prospective pour ce type d’arbitrages budgétaires et il en est ressorti que le prix moyen d’une vie à considérer devait se monter à 120 fois le PIB par habitant, soit environ 3 millions d’euros. Une « valeur » de référence pour l’action publique… bien plus généreuse que celle qu’utilisent les compagnies d’assurance et les tribunaux pour l’indemnisation des décès, par exemple dans le cas d’accident du travail, d’erreur médicale ou de crash aérien, qui s’appuient sur « le préjudice économique » subi. Ainsi, en retenant le salaire français moyen annuel de 22.250 euros, la valeur d’un travailleur moyen correspondrait au 1,2 million d’euros de richesse qu’il a produites dans sa vie. Les assureurs établissent leur évaluation monétaire du malheur selon un froid barème d’âge, de niveau de revenus et de situation familiale de la victime (la vie un jeune cadre « vaut » bien plus cher que celle d’un vieil ouvrier). Certes, un « préjudice moral » peut être, en plus, indemnisé mais la jurisprudence française est en la matière assez pingre, contrairement aux Etats-Unis.

Face au Covid-19, comment évaluer le coût que la collectivité paye à faire passer la santé en priorité quitte à risquer de gros dégâts économiques ? Pas si facile. Quelques calculs ont circulé suite au confinement du printemps 2020. A l’époque, l’Insee avait évalué que chaque mois de confinement avait coûté 3 points de PIB annuel, soit 72 milliards d’euros. Dans le même temps, l’Imperial College de Londres avait modélisé fin mars, pour la France, la surmortalité évitée à 30.000 personnes par mois. Le prix de la vie sauvée revenait donc à 2,4 millions d’euros.

Mais depuis, il se révèle qu’il peut être sérieusement révisé à la baisse, tant le facteur temps est déterminant. Ainsi, avec du recul, les économistes ont constaté que la chute d’activité a été moins dramatique que prévu. « Il y a eu un effet de rattrapage puissant après le confinement, qui compense une partie des pertes, remarque Gilles Moëc, économiste chez Axa. Et, après le choc, les entreprises se sont vite adaptées, avec le télétravail, la numérisation, pour sauvegarder en partie leur business. » D’ailleurs, Bercy aurait, depuis, réévalué le coût d’un mois de confinement « dur » à moins de 2 points de PIB. De leur côté, les épidémiologistes ont constaté que, sans réaction, la propagation de la pandémie s’avérait pire qu’attendu. « La courbe de contaminations est exponentielle, rappelle Pascal Crépey, biostatisticien à l’Ecole des hautes études en santé publique. En ‘aplatissant’ la courbe pour garder l’épidémie sous contrôle, le confinement a donc un effet salvateur croissant dans la durée, d’autant qu’il prévient la surcharge hospitalière, qui augmente la mortalité faute de soins. »  De fait, en juin, l’Imperial College a finalement estimé que les deux mois de confinement du printemps avaient plutôt sauvé 690.000 vies en France !

A l’aune de ces enseignements, le confinement de novembre, plus « léger » et plus court, aurait coûté bien moins cher : 1 point de PIB selon les économistes pour environ 55.000 décès évités d’après des premières projections d’épidémiologistes… soit moins de 450.000 euros pour une vie sauvée.

Age moyen des décédés: 81 ans

Sauf que, pour suivre la logique comptable quitte à être moralement incorrecte, l’âge moyen des morts du Covid-19 avoisine les 81 ans. Ce qui fait dire au fameux docteur Didier Raoult « qu’on sauve beaucoup de gens qui seraient morts dans quelques mois d’autre chose« . Dans une tribune récente dans Le Monde, Adam Baïz, économiste à Sciences-Po et Polytechnique, osait calculer que, en se basant sur une espérance de vie en France de 82,5 ans, un patient atteint du coronavirus qui décéderait à 80 ans « aurait statistiquement ‘perdu’ 3 % de sa vie » et ne devrait donc compter que « pour 0,03 décès ».

L’arbitrage entre économie et santé cacherait-il alors un conflit de générations avec un sacrifice exigé des jeunes et actifs (en termes d’éducation, d’emploi, de qualité de vie) au profit des anciens ? C’est la critique iconoclaste défendue par l’éditorialiste Christophe Barbier (54 ans), le philosophe André Comte-Sponville (68 ans) ou encore l’essayiste François de Closets (87 ans), qui plaide pour un seul isolement des âgés et fragiles. « Il est évident que quand vous arrivez à la fin de votre vie, elle n’a pas du tout le même prix que celle d’un jeune qui a la vie devant lui, assénait-il le 27 janvier sur RMC. Or les nouvelles générations vont souffrir de façon terrible et payer cher pour une maladie qui n’est mortelle que pour les vieux ! » Sans aller aussi loin, Patrick Artus, chef économiste chez Natixis, conseille au gouvernement de « redistribuer plus massivement l’aide publique en faveur des jeunes ». Pour rééquilibrer le « quoi qu’il en coûte ».

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